La rivière et l’orage
Hier soir très tard, la rivière est sortie de son lit. Par un temps exécrable et à une heure aussi tardive, ce n’est pas convenable. Ou pouvait- elle bien aller ?
Jusqu’alors elle nous avait habitués à couler une vie de méandres en cascatelles, on la savait primesautière, un rien capricieuse, parfois même s’offrant des airs de torrent, mais toujours était-elle restée convenablement dans son lit poissonneux…
Mais depuis hier soir, le doute est né.
Et si cette belle inconstante avait une double vie ? Et si celle qu’on croyait sans mystère trempait en réalité dans des histoires ou l’eau trouble n’est que prétexte à camoufler d’autres boissons moins propres ? Ou alors cherchait-elle à se débarrasser de ses poissons ?
Et si parfois elle s’allait éclaircir le vin de certains repentis.
Hier soir la rivière est sortie de son lit.
On fut tenté de la suivre mais dans la tempête qui sévissait, il eût été difficile, voire impossible de différencier l’eau qui venait du ciel de l’autre bassement terrestre. Probablement a t-elle justement profité de la confusion pour tromper la vigilance.
Au matin suivant, force fut de constater que la fugueuse était de nouveau dans son lit comme si rien ne s’était passé, virevoltant de truites en pêcheurs.
On aurait pu croire à son innocence, mais en aval, quelques kilomètres plus bas, les pompiers étaient là manipulant leurs puissantes pompes aspirantes. Ils s’ingéniaient à débarrasser les caves domestiques d’une eau boueuse et indésirable jouxtant d’antiques fûts de Bourgogne et qui avait pénétré par effraction la nuit dernière.
Bizarre ! cette eau venue d’on ne sait où.
Et si ce n’était tout simplement que l’eau de la rivière.
Hier soir, la rivière est sortie de son lit.
Mais qu’allait-elle donc chercher dans les caves du village ? Et aussi tard ? et par un temps exécrable.
Peut être cherchait-elle à mettre du vin dans son eau.