André Guex

Port de la Tour  1920

Régate d’abord, Qu’on me pardonne, j’y viendrai tout à l’heure. Parce que je ne puis écrire ces 4 mots : Port de la Tour sans que remontent en surface tant de souvenirs qu’ils ne tariraient pas si j’en libérais le flot. Ce port où j’ai ancré ma vie alors que je n’étais qu’un enfant  m’a été aussi nécessaire que le pain et le soleil.

Avant la première guerre, il était tout petit enfermé par la petite digue au sud et “la grande battue” à l’ouest. Adossées à la petite dit de vaudaire 4 ou 5 barques séchant leurs voiles dans le rebat d’été, L’Espérance, le Courbet, la petite violette d’Henri Pilet, dernier survivant des baconis propriétaires de barques à la Tour de Peilz. Et le Doyen, le sauvetage était là, fidèle à sa couleur rouge sang.

Mais le yachting ? Je me souviens. 4 Bateaux : Le Sphinx, dessiné par mon grand-père en 1890, d’après les plans du Puritan et construit par Légeret que l’incendie de son chantier sur le quai de Vevey, chassa vers le vieux Rhône où il acheta pour quelques francs la toise, le terrain du chantier, bien vivant aujourd’hui des Ries, grand père et fils. Tout à côté du Sphinx, l’Eos aux frères Ansermet, ancien Flirt du peintre Palézieux, le Curlew de Louis Doge, aussitôt baptisé “Curelève” par les vieux du “banc des menteurs”. Le dernier de cette bande de 4 s’appelait Tristan. Puis vint un petit cruiser de quelque 6 mètres de long nommé Miss Cavell en hommage à l’héroïque infirmière anglaise fusillée par les héros d’outre Rhin.

Le petit port était silencieux, c’est à la rame qu’on allait poser ou relever les pics. Seule la bise froissait les feuilles des noyers, seule la houle d’ouest venait briser sur la grande battue, seule chantait la vague d’étrave quand une grande barque rentrait par gros vent, réussissant le miracle de virer vent debout et de mouiller dans ce port à peine plus grand qu’elle. Le bâtiment maîtrisé sous la cascade de voiles latines affalées, l’adresse hardie des bacounis, leur sens de l’eau sont, je pense les plus grandes leçons que j’ai reçues du port à l’âge où les yeux sont des pièges à images. 5 voiliers et 4 barques auxquels s’ajoutait un canot en chêne, à clins long de 4 mètres mais chargé de voiles au-delà du possible par son propriétaire, Edouard Martin, âgé de 15 ans. Si toilé qu’il lui valut une lettre qui s’achevait par ces mots :”Vous aurez l’obligeance, à moins de modifications de votre embarcation qui n’a de voilier que la voile, de naviguer seul, vous interdisant de mettre la sécurité du public en danger notoire. Signé : Martinet, Inspecteur de la navigation.

Mais cette flotte allait s’accroître à un rythme de plus en plus rapide. Les deux et trois tonneaux, en passe de céder leur place à la série internationale dans la mecque nautique de Genève, arrivèrent les premiers : Cigale, Emeraude, Lésina, Yseult, Black-foot qui deviendra et restera Marquise propriété de Pierre Budry, l’un des plus fins barreurs du haut lac. Ainsi le port de la Tour se remplit. Quelques noms encore parcequ’ils”chantent doux”comme dit Ramuz parlant de Derborance. 1918, un premier 6m50, la Giraglia puis deux puis trois, Le Hell, L’as de pique, le Passepartout, un 8m50, le Butterfly. Un rien plus tard, reprenant l’ancrage du trop vieux Tristan, on vit la merveilleuse vaudaire, un 7m, frère jumeau de l’Endrick dessiné par Fife en 1912 et qui couvé par Béchard, court encore comme si il venait de sortir de l’oeuf. Dans les années vingt, un essaim bourdonnant de 20m2 s’abattit sur le port. Mystère, Frisson, Ayoun, Lotus, Colibri se donnaient tous les soirs la chasse entre la Veveyse et la Becque, régates improvisées où l’on s’imposait, au largue, sur parole, l’interdiction de toucher la barre, l’obligation de mener le bateau à l’aide de sa seule dérive, mobile dans son puits et des écoutes.

Le cerce de la voile de Vevey-La Tour venait de naître doté par un mécène et par la municipalité d’un club house digne de celui du Royal Squadron, le Vieux Stand à l’ombre de ses platanes. Très vite, sa vocation de conservateur des vieux bateaux s’affirma et il devint le refuge attitré des séries vieillissantes, des ancêtres de la jauge Godinet et de ces 6m50, trois fois condamnés et trois fois renaissants de leurs cendres par la grâce des Boucards puis des créations de plus en plus extrêmes et planantes des Fantastique, 1602, Loup garou, fils de l’imagination audacieuse, le mot est faible, des Mercier, Fragnière et Voruz…

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Voici de savoureux portraits de quelques hommes du lac :

” Les hommes du lac, donc pour moi de la Tour de Peilz, je les ai connus presque tous, par leurs seuls surnoms. Et quand j’ai cherché, parfois longtemps après leur mort, leur véritable identité, j’ai du recourir à l’état civil. Cet usage n’a rien d’étrange à la Tour de Peilz dont la plupart des citoyens s’appellent  Mamin, Vodoz, Grognuz ou Grangier. Aussi pouvait-on apprendre sur les faire-parts de deuil, la mort de Mamin, dit Milo, Pinlette ou le Grebet, D’isaac Grognuz, dit le Zoulou, de l’un des frères Vodoz, dits les Cygnes ou de Louis et de Henri Léchaire, dits les Quelus. Comment sont nés ces surnoms, de quelle aventure, de quelle plaisanterie railleuse ? Certains d’entre eux sont restés attachés à leur peau depuis le catéchisme jusqu’à trente ans et plus après leur mort.”
Le Saül
Le vieux pasteur Adamina faisait le catéchisme à une bande de gamins turbulents. Il avait l’éloquence un peu morne, disaient les paroissiens, mais l’art en parlant de surveiller ses auditeurs, adultes ou imberbes et leurs éventuelles distractions. Leur racontant l’histoire de Saül de Tarse sur le chemin de Damas et les noms du Christ tombant du ciel :” Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? Il s’interrompit soudain et interpella le jeune Jules Schneeberger, répète – moi ce que le christ a dit à Saül de Tarse!” Interloqué, épouvanté, le gosse se retourne à moitié et dans un souffle, demande au copain assis derrière lui de lui souffler la réponse ce qu’il fit; mais Schneeberger comprit mal et dans la classe muette, le ministre de l’évangile entendit retentir cette réponse insolite: “Saül, Saül, pourquoi me perces-tu le cul?”
” J’ai beaucoup connu le Saül plus tard. Avec son neveu, mon ami Matile et lui, j’ai maintes fois été tendre ou relever les grands filets dormants au large de la Veveyse ou de la Becque.”
Le Zoulou
La Tour était un nid de barquiers et les Grangier, les Grognuz, les Mamin avaient vécu et vivent encore maintes aventures. En bons conteurs, il leur arrivait de les orner. Le plus marseillais d’entre eux, Isaac Grognuz n’avait qu’un seul nom, le Zoulou, et quand il descendait à terre après avoir contrôlé l’amarrage de son bâtiment, l’Espérance, et après avoir remonté sa ceinture rouge d’ouvrier italien qui soutenait un ventre, assez rare dans ce métier, il nous jetait volontiers à la ronde une remarque sur un retour mouvementé. ” Quand on était au sommet des vagues, on voyait cinq lacs et quand on était dans le creux, on ne voyait plus le Grammont.” Un autre jour, il accusait un banc de perchettes d’avoir bloqué l’Espérance pendant près de vingt quatre heures devant St Prex.
Un jour, sur le glacis du port, il est interpelé par un douanier inaugurant une paire de jumelles ” Avec ça, je distingue un petit troupeau de chèvres à Mémise !” ” Je le vois bien riposte le Zoulou, il y en a huit !” “Tu peux les compter à l’oeil nu ?” “Bien sûr, je compte les pattes et je divise par quatre… D’ailleurs je deviens presbyte, quand je regarde l’heure à l’église de Saint Gingolf, je ne vois plus que la petite aiguille.”
Le Bosco
Les mots de Louis Matile, peut-être en raison de son ascendance neuchâteloise, étaient plus mordants.Sa manière de river leur clou aux jobards était sans remède. De marin professionnel sur des yachts de riches propriétaires genevois, il était devenu charpentier puis bosco dans les cargos de la maison André.
La sûreté de son coup d’oeil et sa détermination auraient du lui valoir la fortune. En effet, le 23 septembre 1943, le St-Cergue naviguant dans l’Atlantique se porta au secours du cargo portugais Mello en flammes. C’est Matile qui le premier réussit à monter à bord et à frapper un cable qui permit de remorquer le Mello vers Recife. 
Les Quelus
D’où a surgit ce sobriquet des frères Henri et Louis Léchaire ? Personne n’en sait rien. Peu communicatifs, discrets, ils avaient l’art de garder secret le produit de leur pêche quotidienne. Mais le nom des Léchaire est surtout lié au drame dont Louis fut victime en 1936 au large de Rivaz. Avec son compagnon Sombrero, il achevait de charger ses filets sur le plat-bord de son canot. Un coup de vent soudain et brutal rasa le bateau et les deux hommes se débattirent dans les vagues. Le malheur voulut qu’un filet établit un barrage noyant Louis qui nageait mal.
Le teinturier
Après dix jours passés avec des pêcheurs de Chioggia sur une Adriatique d’écume tant le bora la secouait, il avait rapporté un espoir, le projet de teindre les 20m2 de toile de son bateau ” L’équipier muet “. Ces voiles, il les imaginait pourpres avec des reflets de bronze. Pour réaliser son rêve, il eut recours aux conseils d’un vieux peintre Ott qui savait tout faire, ses multiples talents allant de l’art d’hypnotiser ses élèves à celui de construire de ses propres mains un canot en bordés d’aluminium rivés. A la question posée :”Comment s’y prendre?” la réponse fut immédiate. – Rien de plus simple, les pêcheurs d’Adriatique teignent  leurs voiles en les plongeant dans un bain de bichromate de potasse, un kilo pour cent litres d’eau. Sorties du bain, il les étendent au soleil qui les teindra en les séchant.
Muni de ces conseils techniques, l’amateur de voiles rouges eut tôt  fait de dénicher une couleuse à lessive de bonne taille, de l’amener au port, de dissoudre son bichromate et d’y enfouir voile et foc sous l’oeil intéressé de ses amis. Sûr de son fait, l’amateur de soleil, torse nu, plonge ses bras dans la couleuse, embrasse ses voiles à deux mains, doigts écartés en fourchette, soulève la toile ou plutôt cherche à la soulever mais ce sont ses dix doigts en éventail qui émergent de la masse après avoir de part en part, fondue littéralement, voile et ralingues, Stupeur d’un instant puis le rire soudain secoue les amis témoins…
– Eh bien ! Teinturier, tu as gagné !
Le surnom lui resta longtemps. Le teinturier s’appelait  André Guex.
– Mais dans quoi avez-vous fait votre mélange ?
  • Dans une couleuse à lessive !
  • En zinc ?
  • Oui !
  • Malheur ! J’ai oublié de vous dire : Le bichromate dans le zinc, cela donne un acide auquel rien ne résiste. Vous n’avez pas de cuve en bois ?
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André Guex   Biographie
André Guex est né le 8 mai 1904, à Vevey. Il est le fils de Jules Guex (1871-1948). Il étudie à l’Université de Lausanne, où il obtient un doctorat en Lettres. Il enseigne au collège puis au gymnase classique à Lausanne (1934-1965).
André Guex a été, sa vie durant, un passionné de navigation et de montagne. Le lac Léman et le Valais sont ses terrains d’exploration. Il a également voyagé, en Finlande, Grèce, Corse. Ces lieux, tant familiers qu’étrangers, seront au centre de ses écrits. Son écriture est celle du poète qui essaie de raconter des événements vécus, des expériences humaines. Selon Jacques Mercanton, ” ces pages, qui ne paraissent pas autre chose qu’un compte-rendu, d’une exactitude minutieuse, nous communiquent la poésie d’une aventure”.
En 1956 il reçoit le Prix Schiller et en 1983, le Prix des écrivains vaudois pour l’ensemble de son œuvre.
André Guex est également l’auteur du Le demi-siècle de Maurice Troillet (3 volumes, 1971).
Il décède à Vevey le 7 avril 1988.
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Pour battre Briséis, M. Pictet de Rochemont commanda à Guédon un nouveau trois tonneaux, Calypso, 97 m2 de toile. De 1911 à 1916, Calypso fut cinq fois champion et gagna plus de 50 régates. En 1917, suivant l’exemple de A.Martin, Pictet de Rochemont abandonna les trois-tonneaux et fit construire son premier 8.50m, le Cynthia, son huitiéme bateau, si je compte bien mais j’en passe peut-être.

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En 1892, la Société Nautique adopte la jauge française  d’Auguste Godinet. Elle donna naissance à des bateaux rapides mais le périmètre ne tenant compte que de la chaîne, c’est à dire la longueur au maître bau, d’une chaîne faisant le tour du bateau permettait de creuser la maitresse section pour diminuer le déplacement tout en gardant une grande surface de voile. Et l’on vit des machines de course ultra légères, coûteuses, éphémères ayant en guise de quille , un bulbe, saumon de plomb lestant une plaque de tôle. Cette image est celle de l’un de ces voiliers, le Soldi de 1,8 tonneaux , 62 m2 de toile.

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Le Flirt de 2,2 tonneaux fut construit à Genève par Trüb sur les plans de l’architecte naval de Catus. Son propriétaire Edmond de Palezieux veveysan et peintre de marine connu, s’établit bientôt à Boulogne-sur-mer. Son Flirt devint l’Eos, aux frères Ansermet et resta dans le Haut lac à la Tour de Peilz.
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Le Théthys ( 5.1 tonneaux) Construite à Lyon sur des plans d’A. Godinet en 1889, portait 160 m2 de voile. Le 29 septembre, son propriétaire, Belly, gagna la coupe
du Léman sur un parcours de 20 milles: Belotte,Nyon, hermance en 4h 25`36“, battant dans l’ordre la Squaw,l’Eva, l’Ibis et le Grèbe.
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1929. Au large, un cordon noir. La bise fraichit et le trinquet suffira pour emmener le Courbet délesté de son sable , grand large, de Cully vers la plaine du Rhône.
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Construite en 1887 pour D. Paccard par A. Pouly sur des plans d’A. Godinet, l’Eva  jaugeait près de 8 tonneaux et portait 202 m2 de toile. La jauge alors en vigueur était celle de la société des voiliers de France.  La formule avait deux défauts : Le périmètre y était lourdement taxé et la surface de voile était libre. Il en résulta des bateaux de brise légère, à petit périmètre et à voilure immense, donc délicats à conduire.

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Mise au sec par les basses eaux de 1921, cette  barque attendra patiemment la “marée montante”

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Les deux rivaux de 1909 sont aux prises. A gauche, Doris à A. Martin et à droite, au vent, Aphrodite à M. Pictet de Rochemont.

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Dès 1902, il existait à Genève une vingtaine de dériveurs portant 20 m2 de voilure. En 1918, la société d’encouragement à la navigation de plaisance établit le réglement  d’une série de dériveurs de 20m2 de surface totale de voilure. Longueur 6 mètres maximum, largeur 1m70 minimum; dérive 50 kg maximum; pont : au moins 30 cm de chaque côté du cockpit; bordé 10 mm d’épaisseur. Ces 20 m encouragement se multiplièrent rapidement car si la jauge internationale donnait naissance à des bateaux rapides, peu toilés et très sûrs, le yachting léger constituait une sorte de revanche du risque, faite pour plaire à ceux dont le plaisir consiste à se mesurer avec les éléments. En un sens, les 20 m annoncent l’extraordinaire succés futur des Flying Dutchmen et 505 modernes où ne peuvent triompher que les équipages entraînés comme des acrobates et rompus aux finesses de la voile.
Parti de la Tour pour Meillerie dans un après-midi d’octobre 1924, je suis de près mon ami Henri Durussel jardinier doublé d’un architecte amateur qui avait dessiné et construit de ses mains son premier Mystère E 55 sur lequel nous courûmes ensemble de bien belles régates.P1030358
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… Pourtant la décadence suivit son cours jusqu’au jour où le barreur et professeur de droit Pierre Mercier résolut de mettre lui-même en chantier un 6.50 mètre ultra léger, la formule corrigée l’y autorisait. Capable de planer, le Fantastique naquit en 1970 et, par un retour singulier des choses, les frères Fragnière, architecte et voilier genevois ont dessiné et lancé en 1974 le dernier-né d’une série qui ne veut pas mourir puisque l’ingénieur Ed. Martin vient de mettre en chantier une unité dessinée et conçue par lui.
En 1972, le frère cadet du Fantastique, l‘Isnel à Roger Grandgirard gagna le championnat suisse des 6.50 mètres par quatre victoires et une place de second.
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En 1911, la société nautique de Genève adopte la série française des 6.50 mètres, dite  des chemins de fer parce que la coque ni les espars ne devraient dépasser cette longueur, ce qui permettrait de les charger sur un wagon donc d’aller courir sur des plans d’eau étrangers. Outre ces avantages, ces bateaux auraient celui  d’être très robustes, l’épaisseur des bordés et des membrures étant imposée, et peu coûteux, leur prix, barre en main ne devrait pas dépasser deux mille francs.
Dès 1912, la série compte 3 unités, Phrymé, Quo vadis et Perchette. Ils étaient 45 en 1927 et la destinée de cette série fut surprenante puisque le N° 111 a été lancé en 1970 et que son dernier mot n’est pas dit, on va le voir bientôt.

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En course au plus près, l’Eva, bâbord amures doit céder la route à Téthys.

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Jauge internationale
Dès 1900, plusieurs pays adoptèrent une formule dite internationale, corrigée de 5 en 5 ans par un groupe international, lui aussi, de professionnels et de yachtmen. Cette formule offre le caractère particulier de n’imposer aucun des facteurs dont dépend la marche des bateaux. Longueur, périmètre, surface de voilure, franc bord, demeurent libres mais la combinaison de leurs mesures doit égaler 6,7,8,12,14,18 ou 23 mètres. Cette formule laisse une extraordinaire liberté à l’architecte. Toutes les idées neuves peuvent s’appliquer, tout est permis à condition que l’on tienne compte de tout le reste.
Cette formule ne s’imposa pas facilement en Suisse. En 1909, un yachtman se félicitant de ce que la Suisse ait refusé la jauge internationale à londres écrivait :” Espérons que les genevois hésiteront avant de bouleverser des séries si bien établies ( Celles des 1,2,3 tonneaux) pour le plaisir si minime de faire du yachting “international”
Le premier yacht de cette série à naviguer sur le Léman fut le Hellé III de M. Duval, construit aux chantiers du Léman sur plans de Fife en 1914.
Un huit mètres suivit en 1926 mais les 6 mètres qui balayèrent bientôt les anciennes séries n’apparurent qu’en 1927. Cette image d’un huit mètres et de l’Hirondelle III, ancienne Briséis, montre bien l’évolution de la construction navale. Par une brise fraîche, le huit mètres porte toute sa toile et gîte peu tandis que le trois-tonneaux peine bien qu’il ait amené son flèche et pris plusieurs tours à sa grand voile.

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La monte au grand filet vers 1930. Le grand filet comporte deux bras de 60 à 8o mètres de long, un sac, une poche de 20 à 30 mètres d’ouverture, profonde de 25 mètres environ. La pêche au grand filet se pratique comme la monte : Le filet est tendu en demi cercle et le bateau ancré sur la veine. Une vessie de cochon ou de boeuf, la pétufle, maintient le sac bien ouvert. Parfois cette pêche se pratiquait au large par deux bateaux amarrés l’un à l’autre et restant immobiles pendant que les pêcheurs ramenaient leurs deux filets, en deux demi-cercles opposés. Cela s’appelait pêcher en queue.
La pêche au grand filet, abandonnée aujourd’hui, rendait vers 1945 jusqu’à 100 kilos de féra par jour.

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On charge la Vaudaire, aux Robinsons. En règle générale, les carriers amènent les pierres à bord et les bateliers dirigent le travail. A eux incombe le soin de disposer les moellons constituant le barin, la muraille extérieure, derrière laquelle on verse le matériau plus léger. Comme sur tous les bâtiments de transport, l’équilibre de la cargaison est une affaire importante dont dépendent la marche et la sécurité. En 1925, environ.

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En 1907, la série des un-tonneau compte quatorze unités. Départ de régate par vent d’ouest. A l’extrême droite, tout dessus, le Gigolo à J. Chenevière, à qui Guy de Pourtalès  a dédié Marins d’eau douce et Bates. Au premier plan, Star à MM.Weber et Wanner, a pris un tour de rouleau. Le Gigolo construit en 1906 par J, Guedon sur ses plans fut champion de sa série cette année-là.

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En 1896, un charpentier naval de Saint Gingolf, François Derivaz surnommé Verse, vint construire dans le port de La Tour, pour Samuel Mamin, un brick de 42 mètres cubes, La Ville-de-la-Tour et, en 1897 deux barques, la Syrène futur Fenalet de 80 mètres cubes, pour jean Grangier et pour Desplands, le  Satyre de 50 mètres cubes qui deviendra la France.
A en juger par le nombre de montants nommés allonges, on en compte une cinquantaine, il s’agit d’un bâtiment d’assez fort tonnage, probablement la Syrène. La construction du tableau a la clarté d’un plan d’architecte : La pièce verticale s’appelle  le piquet, les deux montants latéraux sont les bras et la poutre horizontale supérieure est la  bandasse. L’ensemble s’appelait parfois la croix de Saint André.
On voit bien aussi comment les allonges et les courbes, varangues sont assemblées : Les montants sont derrière les courbes de la poupe au maître bau et devant elles, sur l’avant. Le chevillage était assuré par des boulons ou par des clous carrés sans têtes, les ives. Les montants de l’étrave, de la rode, en forme de V étaient taillés dans des pièces de chêne torse et les bordés qu’on y appliquera seront chauffés  et rendus malléables à la vapeur. Tous les éléments du squelette visibles ici sont en chêne. Les montants très longs permettent de réserver jusqu’aux travaux de pontage la décision relative à la puissance de charge du bâtiment.

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Première renaissance
L’étonnante aventure d’une série lancée en 1911 et vivante encore aujourd’hui. Détrônée par les yachts de la série internationale, les 6.50 m, abandonnés pour un temps, trouvèrent un asile et des défenseurs passionnés dans les petits clubs du haut lac, Rolle, Morges et Vevey. La Tour de Peilz en particulier. Mais en 1949 arrivèrent d’Arcachon, dessinés par Boucard, des 6.50 m lourds dont les succès redonnèrent un essor à ces yachts qu’on disait condamnés.
En 1952, Jean Ries construisit au Vieux Rhône la Marquise, sur plan de Boucard pour Pierre Budry.

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Le Shark au petit largue, bâbord amures, par belle brise

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L’agonie de la Vaudoise dans la rade du Bouveret vers 1950
Et la mort, sur laquelle la vie, déjà, reprend ses droits.

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Au large de Clarens, par une brise très maniable, mon grand-père à la barre du Sphinx.
Un seul foc, la grand voile en bordure libre, le vent d’ouest arrive, le Sphinx lève l’ancre.

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L’Ondine  6 tonneaux  dessinée par Cary Smith fut construite en 1887 par A. Pouly pour le comte Hermann de Pourtalès qui la garda jusqu’en 1892, l’année du

Shark.
L‘Ondine dont le réglage semble avoir été difficile, gagna sa première régate en 1890 mais talonna ou précéda ls Squaw dès 1891. Le vent est maniable mais il a fallu pourtant amener un foc, établir une flèche de brise et rouler de la toile.
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Devant St – Prex vers 1885, le lac semble avoir aujourd’hui des égards pour ce canot gréé en yawl
et dont la voilure résisterait mal à un grain de bise agressif.

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Le port de La Tour de Peilz

Extrait d’un rapport adressé le 8 janvier 1766 au seigneur bailli sur la création d’un port.
” La charité et l’humanité exigent absolument un port ” Parmi les moyens d’y parvenir, le signataire, Gressier, préconise une loterie et le recours aux contributions des bateliers. Quand aux avantages, ils seraient nombreux et importants : ” Le commerce y augmenterait considérablement; notre navigation qui est assez considérable serait en sûreté, en hiver comme en été et ce serait un moyen de l’augmenter. On débiterait facilement et abondamment ses vins. On recevrait  commodément mille douceurs du dehors” La considération la plus forte, c’est l’humanité car combien de bateaux n’avons-nous pas vu périr, chargés de monde et de marchandises ? Et plusieurs conseillers ont dit qu’eux-mêmes et quantité de bourgeois ont été sur le point de périr en abordant notre mauvais port. Et combien de barques qui ne pouvant aborder le rivage par le vent et les grosses vagues sont dans l’obligation d’aller à Villeneuve, ce qui cause de grands retards et de grosses pertes et décourage les étrangers, comme aussi nos compatriotes.
Monsieur Gressier, ancien officier français ayant acquis le château en 1747, établit un jardin en terrasse et construisit en 1749, le corps central actuel sur les ruines du château primitif entouré d’un fossé et protégé côté lac par l’ébauche très courte de la grande jetée actuelle et qui datait de 1643.  Le projet de Gressier n’aboutit que beaucoup plus tard, la grande battue, comme nous l’appelions naguère, fut prolongée en 1849 et la petite jetée, dite de vaudaire date de 1854.

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Quatre des quelques six barques que j’ai connues enfant à la Tour de Peilz, profitant du soleil pour sécher leurs voiles. A sa petite taille derrière les autres, je crois reconnaître la Ville de Vevey, 20 mètres cubes, L’ex Jean-Bart appartenant à Henri Pilet. La plus grande, l‘Espérance n’est pas là  mais l’une des trois est sans doute le Grütli de Charles Mamin dont les vieux bateliers se souviennent qu’il a été surpris par une tempête de vent et de neige au large le 1er mars 1900 et a pu ralier le port grâce à l’aide de l’équipe de sauvetage de Meillerie. En août 1898 déjà, le Grütli menacé de s’échouer contre les enrochements de la Tour, avait été tiré de ce mauvais pas par les treize hommes de l’équipe du Doyen. La photo date de 1900 environ.

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A la maille, avant le moteur

L’un de mes premiers souvenirs d’enfance, les bacounis regagnant le port de La Tour en halant dans la nuit tombante la lourde Espérance noire. Ici, pour avancer et retrouver plus loin l’espoir d’une brise, les bateliers aux chapeaux de feutre ronds, tirent à la maille. A l’extrémité de la servante,  filin d’acier frappé au sommet du mât d’arrière, on attachait la maille, un filin de chanvre auquel les haleurs se liaient eux-mêmes par une triple brassière en cuir, la coulaine facile à détacher en cas de danger. La maille exerçant son effort au centre du bâtiment, celui-ci était facilement maintenu dans sa route parallèle au rivage.

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Dernière barque construite sur le Léman, au Locum vers 1931, La Violette est aussi la dernière à naviguer encore en attendant que le nouveau Neptune soit à son tour lancé. Achetée par par les Pirates d’Ouchy, rebaptisée Vaudoise, elle reste un témoin folklorique non pas d’un métier, perdu sans remède, mais une image disparue. Chargé de sable, le brick La Violette fait route par un rebat léger, de la plaine du Rhône vers la Tour. Longue de 18 mètres, large de 5 mètres environ au maître bau, la Violette pouvait porter 30 m3 de pierre.

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Calme plat, les vents sont au conseil; grand silence sur l’onde et dans le ciel, le marin dit :            “le temps écoute”

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Dangereusement surtoilées, les cochères portaient une voilure immense sur une coque  étroite et instable. Caprice, Ardente, Lézard, Etoile, les cochères avaient de jolis noms, vers 1895

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P1010945 La route des barques

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Plusieurs photos tirés de l’ouvrage ci dessoP1010178us seront   reproduites ici-même. (Patience…)

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Mémoires du Léman (A.Guex)

… Certains nous confièrent leurs bateaux. Nous, c’était Louis Matile et moi. Il avait 17 ans, j’en avais 14. Il était pêcheur, j’étais collégien. Il savait poser et réparer un filet, j’apprenais le latin à mes heures perdues. Les heures gagnées, c’étaient celles de nos veillées sous les platanes du Vieux Stand. En fin d’après-midi, avec son oncle Jules Schneeberg, dit le Sol, il revenait d’avoir été tendre les pics à mi lac, entre La Tour et le Bouveret, et la nuit, nous surveillions leurs falots pendant une heure ou deux pour apprécier leur direction et la vitesse avec laquelle le courant, la lardière les entrainait.

Après une série de vent d’ouest, le courant descendant vers Ouchy et Morges peut faire bien des kilomètres dans la nuit. En repérant ces feux mobiles défilant devant les lumières fixes de St.Gingolf ou de Meillerie, Matile savait où il irait les retrouver à l’aube après avoir ramé deux ou trois ou quatre heures, parfois, sous le Dézaley, Cully ou Lutry.

Souvent les bateliers veillaient avec nous et racontaient ou inventaient des histoires. Car la Tour était un nid de barquiers et les Grangier, les Grognuz, les Mamin avaient vécu et vivaient encore maintes aventures. En bons conteurs, il leur arrivait de les orner. Le plus marseillais d’entre eux, Isaac Grognuz n’avait qu’un seul nom, le Zoulou et quand il descendait à terre après avoir contrôlé l’amarrage de son bâtiment, l’Espérance, tirant sur ses chaînes par gros vent d’ouest, après avoir remonté sa ceinture rouge d’ouvrier italien qui soutenait une ventre assez rare dans ce métier, il nous jetait volontiers à la ronde une remarque sur un retour mouvementé : « Quand on était au sommet des vagues, on voyait cinq lacs et quand on était dans les creux, on ne voyait plus que le Grammont. ». Un autre jour, il accusait un banc de perchettes d’avoir bloqué l’Espérance pendant près de 24 heures devant St Prex. Et il ajoutait : « On a bien essayé de remorquer avec le naviot mais les rames tombaient toujours dans le même trou ». Un jour, sur le glacis du port, il est interpellé par un douanier inaugurant une nouvelle paire de jumelles : « Avec ça, je distingue un petit troupeau de chèvres à Mémise ! » Je le vois bien, riposte le Zoulou, il y en a huit. « Tu peux les compter à l’œil nu ? » « Bien sûr, je compte les pattes et je divise par quatre. D’ailleurs je deviens presbyte quand je regarde l’heure à l’église de St. Gingolf, je ne vois plus que la petite aiguille. »…

Les mots de Matile, peut-être en raison de son ascendance neuchâteloise, étaient plus mordants. Sa manière de river leur clou aux jobards était sans remède. Un ministre ambassadeur en fit plus tard l’expérience. Après une belle carrière de marin professionnel sur les yachts de course des riches propriétaires genevois ou cannois, Matile avait embarqué comme matelot pour devenir charpentier puis bosco, maître d’équipage sur les cargos de la maison André qui faisait le blé du Brésil. Or lors d’une escale à Rio, notre ministre ambassadeur, voulut se renseigner sur chacun des suisses de l’équipage, il s’approche de Matile : « Alors, mon brave, tu étais pêcheur à la Tour de Peilz et te voilà maître d’équipage sur un grand navire, tu vas bien ? » Et Matile, les lèvres serrées : « Pas mal et toi ? »…

… La sûreté de son coup d’œil et sa détermination auraient pu lui valoir la fortune. En effet, le 23 septembre 1943, le Saint Cergue naviguant dans l’Atlantique se porta au secours du cargo portugais Mello en flammes après avoir recueilli son équipage en détresse sur les canots de sauvetage, c’est Matile qui réussit le premier à monter à bord et frapper un câble qui permit de remorquer le Mello vers Recife. Selon les lois de la mer, Matile aurait dû recevoir un droit important sur la valeur de l’épave mais les avocats s’en mêlèrent et il ne s’enrichit pas, ce qui n’altéra pas le moins du monde une philosophie … faite au feu.

Que me reste-t-il aujourd’hui du bosco ? Son vieux sac de marin, mais il est plein de souvenirs jusqu’au bord, jusqu’aux bords que nous faisions ensemble, quand nous avions quinze ans, sur des bateaux prêtés … ou empruntés en l’absence des propriétaires. Borgeaud futur président du CVVT nous avait autorisé à sortir son deux tonneaux, l’Iris. Il y avait un peu de houle morte d’ouest, mais rien n’annonçait clairement le coup de tabac qui se préparait. Nous étions à mi lac quand le vent barra l’horizon d’un trait noir s’épaississant, puis la brison se mit à gronder et les premiers grains égratignèrent le lac et nous mit l’eau au pont. Nous étions bien placés pouvant laisser courir largue sur le port. Mais à l’époque, les barques amarrées parallèlement à la petite digue frappaient une chaîne à la grande jetée, en travers du port et barrait ainsi son entrée. Pas de rentrée possible, nous entrâmes en coup de vent, un coup de barre pour faire face devant l’étrave du Doyen, le port était alors presque vide, et l’Iris vent debout perdait de son erre, ses voiles claquant comme des balles dans un stand de tir. L’ancre était mouillée à quelques mètres de la grande battue et les voiles brusquement affalées. Belle rentrée, appréciée par les critiques du banc des menteurs. Déjà Matile savait barrer.

Combien de soirées d’hiver avons-nous passées plus tard à refaire le pont, à radouber un vieux voilier que j’avais racheté et qui faisait de l’eau tellement que Matile l’avait baptisé panier à salade.

Quand nous étions jeunes, ce qui nous intéressait surtout dans les conversations des bateliers, c’était la vie des barques elles-mêmes, leurs aventures, leurs désastres, leurs cargaisons de bois et de pierres par dessus bord, leurs naufrages. A l’époque, vers 1918, le drame du Fram, canot de sauvetage de Lutry chaviré, perdant cinq hommes et dont on retrouva les débris sous le Dézaley, ravivait la mémoire de Grangier, seul survivant du naufrage d’un autre Fram, démâté et chaviré le 26 février 1904, sous le Dézaley, lui aussi. Le Fram était un petit brick chargeant 20m3 et appartenant à Jules Curchod de la Tour de Peilz. Le 26 février, à la fin de l’après-midi, chargé de gravier, le Fram quitte Vevey pour Cully monté par son propriétaire et deux bateliers, Isaac Martinoni et Adolphe Grangier. La bise semblait maniable. Curchod et Martinoni descendirent dans la « chambre » laissant la barre au jeune Grangier, âgé de 19 ans. Au large de Rivaz, le Fram fut attaqué par un grain, une de ces lourdes rafales tombant du Dézaley dans l’axe de la pente et s’écrasant en éventail en frappant le lac. Le brick pencha mais plus il gitait plus le grain avait de prise. Il eut fallu mollir les écoutes à temps mais un homme seul ne pouvait rien faire. Le chargement glissa, le Fram tourna fond sur fond et l’eau s’engouffra par le portaire. Grangier s’accrocha à la quille, il entendit hurler les deux hommes pris au piège. Ayant pu libérer le naviot, il chercha à gagner la rive à la godille mais il n’avait qu’une rame et fut recueilli par un canot venu au secours et monté par les frères Leyvraz, Louis et Roger Ruchonnet de Glérolles. Un autre canot, monté par Bovard et Bujard de Cully arriva à son tour en même temps que le sauvetage de Cully. Dans le bâtiment retourné et rasé, on n’entendait plus rien. A coups de hache et de scie, les sauveteurs pratiquèrent une large ouverture dans les flancs de la barque, ce qui ne fut pas facile dans les rafales et les vagues d’une bise d’hiver. La nuit venue, ils essayèrent d’atteindre les malheureux pris sous la quille et noyés sans doute rapidement après que le brick eut chaviré.

Comme il arrive, certaines de ces aventures d’eau douce relèvent à la fois du drame et de la comédie. Le 11 aout 1907, le ballon L’ouragan monté par MM. Kaiser et de Botzheim, parti à 4 heures de Montbenon, fut surpris par la bise à la Tour de Gourze après avoir tourné en rond sur le Jorat, et tomba dans le lac. L’équipe de Lutry qui revenait d’une course à Si Gingolf se trouvait à environ 3 kilomètres et demi du ballon et fit force de rames dans sa direction. Elle le vit bientôt se relever quelque peu, et l’équipe crut que son secours n’était plus nécessaire. Mais, entendant distinctement les appels au secours des aéronautes, les équipiers du Fram reprirent leur course et les recueillirent tous deux. L’important était fait mais le reste, le sauvetage du ballon lui-même fut la partie la plus difficile, la plus pénible de l’intervention.

Une quantité d’embarcations grandes et petites arrivèrent alors, entre autre le canot automobile de M Moser de Cully, les sauvetages de Cully et la Tour de Peilz, le Fram remorqua d’abord seul les ballons dans la direction de Rivaz puis tous les bateaux présents s’attelèrent aussi. Il y avait en tout 32 rameurs et un bateau à moteur. Malgré la bise, on avança quelque peu. Mais elle fraîchit davantage. Un bon grain et le ballon au lieu d’être remorqué, remorqua à son tour les embarcations, avec cette différence qu’il traînait tous ces bateaux, gouvernail en avant, à une vitesse d’à peu près vingt kilomètres à l’heure. Ce n’est pas sans raison que les marins ont baptisé foc ballon une voile de largue particulièrement efficace. Plus d’espoir de regagner la côte suisse. On va droit sur Meillerie. Mais voilà qu’au large de Meillerie soufflent des airs de terre. Malgré une lutte  acharnée, impossible de les vaincre. Il faut renoncer à atterrir près de cette localité. L’Ouragan qui mérite bien son nom, traîna les deux bateaux de sauvetage qui restaient du côté de Villeneuve puis il prit la direction de la terre. Le vent tomba un peu et les équipiers purent aborder à deux ou trois cent mètres à l’ouest de St Gingolf. Le ballon fut dégonflé, les deux équipiers se restaurèrent et regagnèrent leur port d’attache à cinq heures du matin.

L’Ouragan, appartenant au Club aéronautique de Neuchâtel avait déjà une certaine expérience de l’eau. Trois semaines auparavant, il était tombé dans le lac de Neuchâtel.

Ainsi par les récits des anciens, nous connûmes la petite histoire du lac, le temps même où la grande histoire faisait des siennes en Europe. Au contact de ces hommes ne vivant que du lac et par le lac, nous apprîmes bien des choses, sans compter celles, difficilement transmissibles, qui leur permettaient le dimanche de nous battre assez régulièrement en régates, et qui relèvent du sens de l’eau.

Quand Matile et le Sol avaient réparé leurs filets séchant derrière le Vieux Stand, nous allions tendre ou relever quelques filets dormants, des ménis, généralement entre l’Ile aux mouettes et la Becque.

Alors que tout change autour de nous, les tours de main du pêcheur, ses gestes demeurent immuables, semblables à eux-mêmes, depuis toujours, si loin qu’on remonte dans le temps. Regardez-les  réparer dans la toile les dégâts provoqués par le passage d’un brochet. Il tient le filet de la main gauche, le couteau dans la droite et la navette entre les dents.

… Le 14 avril 1922, une vaudaire furieuse soufflait et vers cinq heures de l’après-midi, l’équipe de la Tour de Peilz appelée par la section de Clarens était sortie pour aller au secours de la barque La ville de Vevey lorsqu’un des membres de l’équipage signala à cent mètres environ, un canot submergé dans lequel se trouvait assis un naufragé. Le sauvetage de La Tour de Peilz changea de route, accosta l’épave, et l’homme qui râlait et perdait connaissance fut hissé à bord. C’était François Girard, chef d’équipe du Vevey-vétéran qui, en compagnie de son neveu, Jules Krieger, de la Tour, était parti à la voile pour relever des filets à brochets devant la Bataillère sur le chasse-marée de Krieger, la Jalouse. Surpris par la tempête et entraîné peut-être par ses lourds souliers de pêcheur, Krieger disparut. Ramené à terre, son oncle ne tarda pas à expirer. Ensuite, le bateau de la Tour repartit au secours de Ville de Vevey.

Jules Krieger avait 26 ans. L’un de ses deux enfants, un tout petit garçon, s’était noyé dans le port de la Tour un an auparavant.

Sur les années qui ont suivi, les images et leurs légendes seront plus explicites que ces notes fragmentaires.

Les trois, deux et un tonneaux ont cédé leur place à regret, non sans se défendre, aux 6m50, 8m50, 12m qui ont vu surgir à leur tour les 6m, les lacustres, les 5m50. Peu voilés relativement aussi rapides ou plus rapides que leurs prédécesseurs, les nouveaux venus répondaient aux efforts des architectes dont les objectifs étaient la vitesse et la sécurité.

Par un retour des choses dont la vie a le secret, on vit naître parallèlement et se développer à un rythme de plus en plus rapide le yachting léger qui constitue d’une certaine manière une revanche du goût du risque sinon du danger.

Evolution extrême d’aujourd’hui, les 505, 470 et autres Flying Dutchman sont des pur-sang qui imposent à leurs jockeys un entraînement aussi sévère que celui des gagnants de Longchamps ou de Chantilly. Ils sont issus d’une même souche dont les représentants les plus anciens sur le lac ont été les 20m2 des années vingt, si merveilleusement équilibrés que nous pouvions jouer avec eux comme les dauphins, les mener à notre guise sans toucher la barre, n’usant que de leurs dérives mobiles et des écoutes, et les redresser en sautant sur cette dérive quand ils amorçaient un naufrage. Ils nous ont donné les plus belles joies de notre jeunesse que leurs noms suffisent à réveiller : Iris, Daphné, Ayoun, Frisson et ce Mystère dessiné par un jardinier mystérieux lui-même Henri Durussel qui construisait ses bateaux quand il ne cultivait pas ses légumes et ses fleurs.

L’ancêtre des Bols d’Or

Le 20 août 1900, la Société nautique de Genève organise une grande régate autour du lac, dotée d’un objet d’art offert par M. Charles Bartholoni. Le règlement était nouveau et original. Le temps était compté de la façon suivante : on déduisait les heures pendant lesquelles les yachts restaient à l’ancre, de huit heures du soir à six heures du matin. En outre, les concurrents pouvaient se servir de tous les moyens de propulsion tels que rames, remorque par le youyou, gaffes, maille pour haler du rivage ; il était pourtant interdit de se faire tirer par un vapeur. Ces dispositions avaient pour but de permettre aux bateaux de se rapprocher des rives si la brise tombait, et de donner aux équipages la faculté de coucher à terre. Voici le compte rendu de cette course, extrait d’une lettre de E. Reverdin parue dans le Yacht du 25 août 1900 : « Lundi matin, à dix heures, nous sommes partis onze yachts de Versoix par légère brise du sud-ouest. Voici leurs noms : Tanit, Sirius, Grèbe, Sarina, Black-foot, Sarcelle, Alma, Yseult, Fly Gyptis, Blanche. »

« A midi, nous doublons le village d’Yvoire. Sarcelle et Fly nous abandonnent, à deux heures 45, devant Evian ; après avoir eu un moment de calme, à 3h30, nous voyons devant nous une forte poussée de vaudaire qui rend le lac bleu avec moutons. Nous allons à terre puis à Meillerie pour mouiller et laisser passer l’orage dont nous n’avons que le remous. Au bout d’une demi-heure, nous repartons, vent arrière, le temps s’étant remis rapidement.

« Nous arrivons au Bouveret de 5h55 à 6h13 ; nous ne sommes plus que sept concurrents. Nous avons donc fait un trajet très rapide, presque toujours au vent arrière avec brise très maniable permettant de porter les flèches et les spinnakers. Après le coup de vaudaire, j’avais pris la précaution trois ris que je n’ai pas tardé à larguer.

« Le retour a été plus mouvementé. Partis le 21 à 6h du matin du Bouveret, nous avons navigué dabord vent arrière, par brise légère puis calme plat s’est établi vers 10h jusqu’à midi. Les petits bateaux en ont profité pour ramer et même pour aller en remorque le long du bord. Je l’ai fait moi-même de Tourronde à Petite Rive pour ne pas rester en place. Vers midi, une brise très légère et nous voilà repartis vent arrière ; nous doublons Evian puis nous arrivons à l’embouchure de la Dranse à une heure et demie. De là avec une assez bonne brise, nous traversons le golfe ; la brise tombe peu à peu, Arrivés près d’Yvoire, vers 4h, un très fort coup de vent du sud s’élève ; Gyptis mouille à Yvoire, Tanit à Nyon ; moi-même, j’amène toutes mes voiles. Je me mets à l’ancre un instant puis malgré une pluie torrentielle, je repars aux heures 4 minutes 35 secondes du soir. Avant moi sont arrivés Sarina et Yseult qui avaient dû se servir des avirons dans la matinée,

Ayant retrouvé quelque chose de l’activité du chantier de Locum à l’époque où je le découvrais, j’ai tenté d’esquisser son histoire en feuilletant de vieux papiers. Le 22 mars 1895, MMJoseph Dumont, Pierre Jaquier, maître carrier et Auguste Jaquier, tous trois de Meillerie constituaient en société anonyme à Evian, devant notaire la « Compagnie française de construction et de réparation de barques du Léman » au capital de 30 000 francs divisé en actions de 500 francs. Le premier président du conseil d’administration fut Pierre Jaquier dit Pétrole surnom gagné quand il était pauvre gamin et en vendait de porte en porte dans le village. Propriétaire de barques et de carrières, il passait pour fort adroit en affaires et tenait tous ses comptes sur des manchettes que sa mère devait amidonner jusqu’aux coudes…

… Le plus ancien des livres de paie du chantier que m’a confié le petit-fils de François Jaquier date du mois de juin 1897. Il occupait alors 20 ou 25 ouvriers qui cette année là construisirent l’Abd-El-Kader (28m2). François Jaquier, le patron fit en juin 308 heures et ne prit qu’un jour de congé, le dimanche 27. A 0fr75 de l’heure, il gagna 223 fr 80. La paie des ouvriers variait de 0 fr 40 à 0 fr 45 de l’heure et ils gagnaient de 90 à 125 francs par mois en travaillant onze heures par jour. La paie totale de juin fut de 1785 francs 20 sur laquelle on retint, charges sociales destinées aux blessés, la somme de 40 francs 20.

A suivre…


Les vents

Les airs de la nuit

Ils descendent tous de la terre sur l’eau et soufflent vers le centre du lac.

De loin, on peut savoir si ils sont là ou si ils ont été retenus dans les vallons. S’ils sont là, les lumières des villages et des villes vibrent et tremblent dans l’air ; s’ils n’ont pas pu venir, les lumières vous fixent de leurs regards immobiles de planètes.

Au clapotis qu’ils envoient vers le large, on peut aussi mesurer leur force. Ils sont changeants et fantasques ; ils se moquent des lois que la météorologie leur assigne, certaines nuits ils viennent de la lune et tournent avec elle.

Pour en parler un peu, supposons qu’un soir, ils ne soient pas lunatiques. Le jour où les architectes navals auront dessiné un bateau de brise légère assez rapide pour faire le tour du lac en une nuit, ce « racer » encore à naître pourra en faire le tour à quelques centaines de mètres du bord, passant d’un vent à l’autre, sans changer d’amure, sans toucher les écoutes, au petit largue, deux bordages noyés.

Partant du Bouveret tribord amures, il naviguera jusqu’à Clarens par le vauderon ; De Clarens, le jaman le mènera à Rivaz où il attrapera le bisoton qui le conduira, s’il a un peu de chance, car Ouchy est le pays des brises sauvageonnes, jusqu à St Gingolph enfin, un albran local, la marinéeian, les albrans tombant de Mémise vers Yvoire. Dans le golfe de Coudrée, il tro’à St Sulpice.

A la pointe, exactement la pointe de St Sulpice, il sera cueilli par le morget et porté à Promenthoux où la fraidieu montée du petit lac, elle souffle parfois la nuit, lui fera traverser vers Yvoire. Dans le golfe de Coudrée, il trouvera le birran descendu des Dranses puis vers Evian, les albrans tombant de Mémise ; à St Gingolph enfin, un albran local, la marinée ou marnaye, dont le nom qu’on n’emploie plus guère aujourd’hui pourrait bien venir du grand couloir de Marin qui domine le village, le ramène au vauderon du Bouveret. Cent cinquante kilomètres, tribord amures en cercle en une nuit… et en rêve !
Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres 1979


Le rebat ou séchard

C’est la même brise mais elle porte deux noms différents : De Genève à Rolle ou Thonon, on l’appelle le séchard ; d’Ouchy à Evian et dans tout le haut lac c’est le rebat.

C’est la même brise mais elle souffle de toutes les directions de la rose des vents, du nord-est dans le petit lac, du sud-est ou du sud-ouest de Rolle à Lutry, de l’ouest dans le haut lac, du nord sur les grèves de la plaine du Rhône.

Né dans les grands espaces du golfe de Coudrée que les vaudois appellent creux des Conches ou la grande Conche, le rebat irradie et se déploie en éventail vers la côte vaudoise et genevoise exposée plein sud et brûlée de soleil longtemps avant la côte savoyarde. Comme le vauderon, le séchard se pose souvent très loin du lieu de sa naissance.

… Une carte nous révélerait quelque chose de la nature de cette brise subtile et malicieuse mais le rebat a plus d’un tour dans son sac. Il est par sa nature insaisissable et changeant comme un homme. Il suffit d’un nuage logé dans un coin du ciel pour que les hypothèses s’écroulent. Un jour, il moutonne à la côte suisse, le lendemain à la côte de Savoie.

Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres 1979


Le joran

Pour qui navigue sur la côte suisse, de Genève à Morges surtout, le joran est l’un des vent le plus imprévisible ; sauf les rouleaux de nuages arrondis qui coiffent le Jura, rien ne l’annonce ; il approche comme un chat et après un coup de griffe sur les arbres de la rive, il s’abat sur l’eau en grains noirs et pressés. Moins féroce que sur le lac de Neuchâtel, où il plonge des crêtes du Jura comme la bise dans le Dézaley, il est redoutable pourtant, surtout pendant les cinq ou six premières minutes : après quoi, dépensé son trop-plein de jeunesse et calmée sa fougue agressive et sifflante, il s’apaise et prend sa course vers le sud-ouest, à la poursuite de lui-même. Son cadet, le jorasson, n’atteint guère qu’à la jolie brise de l’échelle marine tandis que l’aîné, dans ses grands jours, vaut une belle vaudaire et fait sortir les tourmentins des sacs à voiles. Le joran tient son nom du jura d’où il vient.

Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres 1979


Le vent

Quand passe le sud-ouest, le lac ressemble à la mer ; Les vagues lourdes roulent comme les anneaux d’un gigantesque reptile ; l’air est doux, mouillé de pluie dans le ciel sombre où voyagent les nuées.

Remontant vers le nord-ouest dans l’axe du petit lac, il se renforce au passage de celui qui débouche dans le golfe de Coudrée. Infléchit insensiblement sa route vers l’ouest et vient battre le Haut Lac, en lutte souvent avec la vaudaire qui n’est qu’un autre visage de lui-même. C’est le plus réglé, le moins capricieux de tous les vents qui se disputent le lac et l’on peut compter sur des heures de largue ou de plus près quand on le voit s’inscrire sur l’horizon sa barre indigo ou noire. On le reconnaît facilement car il s’établit lentement et qu’il est précédé par un bruit sourd et profond, si angoissant dans le silence de la nuit, comme un conseil de réduire la toile et que les pêcheurs appellent « la brison ».

Le vent souffle avec une intensité égale, 15 à 25m/sec sur toute l’étendue du lac, sauf parfois dans une zone qui va d’Evian au Bouveret, où règne souvent un calme étrange pendant qu’il ronfle des jours durant à moins d’un kilomètre de la rive battue par la vague morte souvent énorme.

… Certains jours chauds de l’été, par un ciel très clair, sans nuages le sud-ouest souffle aussi et brasse un lac heureux ; on l’appelle alors vent blanc comme les Sétois qui ont leur marin blanc.

Dans leur patois, les paysans vaudois l’avaient baptisé le Maurablyia (celui qui mûrit les blés) et les savoyards le Follye bou (celui qui effeuille les bois).

Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres 1979.


La bise noire

On appelle bise noire ou retour de Vaudaire, un vent de mauvais temps soufflant vers le sud-ouest en rafales très brusques, pendant la saison froide et dans des périodes où le régime normal est au sud-ouest. En décembre et en janvier, quand elle souffle, le lac fume car à son contact, l’air glacé se condense et l’on peut voir courir le vent.
Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres 1979


La Bise

« Lorsque les grains s’affolent dans tous les sens, ombres fuyantes, rapides comme des truites ;
Lorsque le vol lourd des corbeaux s’épuise à regarder la terre.
Lorsque le lac, à cinq cent mètres du bord est blanc d’écume et que les mouettes mènent leur jeu et glissent emportées sur les pentes de l’air.
Lorsque les arbres se plaignent puis se taisent, puis recommencent à se plaindre.
Lorsque les nuages se massent sur les crêtes de Mémise, remplissent le vallon de Novel et les combes de la Chaumény tandis que le ciel au nord reste d’un bleu profond et mat.
Lorsque les canards se tiennent, le bec dans le vent, et culent doucement, ancrés sur leurs pattes.
Lorsque les tourbillons amoncellent les feuilles, les entassent puis les soulèvent de nouveau, les éparpillent et les emportent ; alors les gens du Haut Lac reconnaissent la bise.

Depuis Nyon jusqu’à Genève, le lac gronde pendant des jours et des nuits, roulant comme un tonnerre le long des rives ses vagues blanches et vertes. Livré à lui-même, désert, le lac secoue sa colère, écrase les masses d’eau contre les murs, en gerbes que la bise reprend au vol, rabat et emporte en poussière. A Genève, les mouettes elles-mêmes renoncent à jouer en s’en vont picorer à l’abri dans les champs.

… La bise souffle trois, six ou neuf jours, disent les gens du lac ; ce n’est pas toujours vrai mais c’est souvent vrai ; vérité et légende. Elle est provoquée par le passage d’un cyclone sur la Méditerranée ou d’un anticyclone en Allemagne ; trois jours, c’est la durée normale pendant laquelle on reste sous l’influence de ces cyclones qui se suivent souvent en chapelets de deux ou de trois.

La bise est plus fréquente en hiver qu’en été au 10 de l’échelle de Beaufort, coup de vent de l’échelle marine avec 20m à la seconde et plus. En janvier 1946, l’observatoire de Genève a enregistré des pointes de 130 km/h, 36m/sec. Les pêcheurs, les cheminées et les riverains s’en souviendront longtemps

Descendre le lac par la bise de Vevey à Genève, c’est l’une des plus belles navigations qui soient, un bord de cinq à sept heures sans changer d’amures, avec le pont courant dans l’eau.

La direction générale de la bise est du nord au sud mais elle est capricieuse et ne sert bien que ceux qui la connaissent. Entre Villeneuve et Montreux, elle donne de l’ouest, légère comme un rebat d’été sans vigueur et sans nerf. Vers l’ile de Clarens, elle prend vie et soufflera du nord ou du nord – est  avec une intensité croissante jusqu’aux Moulins de Rivaz où elle se déchaîne avec une brutalité qu’elle ne dépassera nulle part ailleurs. »

… « Dès Cully, la bise hale l’ouest de plusieurs degrés et, passée la coulée violente de la Paudèze et de Lutry, elle se règle en direction et en intensité et coule vers Nyon et Genève comme un immense fleuve moiré ou aveuglant selon les heures et la saison.

… « La côte de Savoie, du Bouveret à Evian, muraille boisée et abrupte, écran de mille cinq cents mètres de hauteur, refoule la bise et l’arrête souvent à près d’un kilomètre de ses rives qui ne reçoivent que les chocs sourds de la vague. En revanche, le vent trouve dans la vallée des Dranses un entonnoir où s’engouffrer et c’est dans le golfe de Coudrée que les vagues atteignent leur pus grande hauteur. »
Extraits de l’ouvrage d’ André Guex : De l’eau, du vent, des pierres  1979


Les multicoques, ces ancêtres           7 juillet 2014 

… J’y pensais en écoutant les spectateurs terriens, jumelles aux yeux, assistant au départ d’une grande régate lémanique où se trouvaient engagés ces empêcheurs de virer en rond nommés tri ou catamarans. J’entendais leurs réflexions dont les plus nombreuses tombées de lèvres dédaigneuses, pouvaient aisément se résumer :

« Ce ne sont pas des bateaux ! Ces araignées n’ont rien à faire sur l’eau, et d’abord elles sont laides ! »

Ces réactions m’ont paru sommaires parce que beaucoup d’années de navigation m’ont appris qu’en matière de voiles et de carènes, les relations entre l’efficacité et la beauté sont subtiles, mobiles et que toujours l’efficacité, à plus ou moins long terme, s’est imposée comme belle. Je me souviens le Mosquito et son maître beau, reculé en arrière du centre, fut jugé laid et voué à sombrer dans les abîmes. Un an plus tard, grâce à la victoire de l’America, la beauté changea de camp.

…Plus grave formule : « Ce ne sont pas des bateaux. ». Elle ne résiste ni au bon sens ni surtout à l’histoire. Les catamarans sophistiqués d’aujourd’hui ont d’enviables lettres de noblesse, étant les descendants légitimes de vrais bateaux qui les premiers vainquirent, en de préhistoriques « Transpac » Il s’agissait du Pacifique, le plus redoutable des océans.

Des siècles avant que Colomb ait rêvé de traverser l’Atlantique, des peuplades venues de la partie orientale du Pacifique, sur des pirogues à balanciers découvrirent et colonisèrent, à plus de 2000 milles de chez eux, les îles de la partie occidentale. La plupart de ces pirogues n’avaient qu’un balancier, c’était des praos, ces vrais bateaux qui ont battu récemment les records de vitesse sur l’eau…

(tiré du livre d’A. Guex voiles et carênes)