La Gramouille
La période hivernale ne générant que peu d’événements nautiques extraordinaires, la gazette du port a envisagé un moyen de conserver pendant cette période l’intérêt de ses fidèles lecteurs.
C’est encouragés entre autre par un marin Franco-Hispano-Suisse bien connu que nous avons décidé, la rédaction in corpore, de relater l’histoire peu banale de la gramouille.
Ce texte qui n’a, disons-le, rien à voir avec le port et injustement ignoré de la classe intello-littéraire, sera édité par épisodes successifs.
A très bientôt, préparez vos mouchoirs et dictionnaires !

Préface
À peine le titre posé, j’en sais déjà qui vont me demander si le sujet de la gramouille justifie un ouvrage littéraire, encore un !
Il est vrai que depuis des décennies, tout ce qui touche de loin, de près ou à mi distance à la gramouille s’est vu traité sous des formes les plus variées, de l’alexandrin à l’opéra en passant par le conte pour enfants, toute cette littérature a vu le jour dans les pays civilisés, engendrée par une palette d’écrivains, essayistes et autres poètes déchus en mal d’inspiration. Certains puritains y verront certainement une provocation attentant à la morale chrétienne déjà suffisamment mise à mal par la vague d’érotisme déferlant sur le pauvre monde des fidèles absents du culte… le dimanche matin.
Le plus difficile lorsqu’on entreprend la réalisation d’une action n’est certes pas l’action elle-même mais bien ceux qui tentent inlassablement de vous empêcher de la réaliser.
Et bien, contre toute attente, j’ai décidé d’œuvrer. J’ai tout d’abord envisagé une gramouille en alexandrins mais ayant relu les fourberies de Scapin, j’y ai modestement renoncé, la prose sera donc le support choisi pour ce texte, qui n’en perdra pas son faste et qui j’espère, passionnera les lecteurs.
Pour une compréhension optimale de sa substantifique moelle, un niveau de culture supérieur à celui de la couche crasse de la population laborieuse et inculte sera requis.
Si, cher lecteur, vous pensez ne pas répondre à ces critères d’excellence, je l’admets, un peu élitistes, veuillez quitter ce site, vous n’en serez que plus heureux, la télévision ou les journaux quotidiens feront j’en suis persuadé, la couche de fond de votre culture médiatique et nous sommes prêts à vous rembourser le prix de l’abonnement.

HISTORIQUE : Chapitre N°1
Le mot gramouille semble puiser ses racines dans des temps très reculés, peut-être même à l’époque de la décadence romaine. L’on en a en effet retrouvé quelques traces dans les ruines de la caverne D’Ali Baba, quelques graffitis de tageurs le confirment. Dans les ouvrages scientifiques de Léonard de Vinci, on trouve déjà, lors d’un passage au port de la tour, à côté des ébauches crayonnées de l’hélicoptère ou de la fronde, quelques traces sur son ordinateur de ce qui pourrait ressembler à une gramouille. D’éminents gramouillogues affirment toutefois que son utilisation méthodique et systématiquement journalière donc quotidienne de chaque jour semble remonter au XII siècle.
La révélation de sa présence à ces dates reculées fut retardée par une censure drastique dont les géniteurs estimèrent que sa connotation licencieuse ne devait pas être divulguée aux yeux de la population bien pensante. Aujourd’hui, alors que la morale siège dans les chaussettes du peuple quand il porte des chaussettes, l’on sait que d’aucuns bas reliefs tout en haut de frontons d’églises célèbres la représentent dans des positions que la morale se doit de réprouver, le chaos est le point de chute de tout excès !
Après être descendue des hauts frontons dans la rue, la gramouille a bien entendu subi de nombreuses évolutions de même que son utilisation s’est profondément démocratisée, même chez les peuples laïques et méprisables.
Cette démocratisation, il tient lieu de le regretter, s’est bizarrement accouplée au phénomène scandaleux de la libération de la femme, il n’est pour cela que d’observer les hommes d’aujourd’hui dans leur désarroi face à leurs compagnes. Darwin, dans ses fumantes théories de l’évolution, fut bien incapable de mesurer l’impact de ces deux périls, paix à son âme ! N’accusons pas les absents, Darwin, si tu nous entends, je te salue et sans rancune !
Chapitre 2
De même que le Sugus, le Coca-cola, la couche-culotte qui ne se remplit que si l’on s’en sert et Jonny Hallyday, la gramouille a traversé les époques, toujours fidèle à elle-même et comme les biens de consommation ci-dessus cités, elle demeure et nous habite.
Bien sûr, les matériaux la composant se sont profondément modifiés, la manière de la fabriquer aussi mais l’essence même du produit est fidèlement demeurée immuable, la gramouille fut, est et restera gramouille.
Par contre et ceci est bien le reflet de notre société fracturée, il fut un temps où seuls les riches avaient le privilège d’en posséder une. Ils l’exhibaient, la soignaient et la bichonnaient comme la prunelle de leurs yeux, les plus aisés de l’aristocratie galopante pouvaient s’enorgueillir d’en admirer parfois, incrustées de racines de framboisier ou même sertie de diamants d’Ankara.
Si la racine de fraisier et l’ébène formaient jadis l’essentiel de sa composition structurelle, les matériaux composites sans âme d’aujourd’hui sont tristement largement utilisés. Certains prétendent que la gramouille d’alors était de meilleure qualité, plus souple, plus conviviale, évitons le passéisme, soyons modernes et contournons toute polémique.
Aujourd’hui, sa fabrication en grande série l’a malheureusement reléguée au rang d’objet banal de consommation et il n’est pas rare, à Bourg-dessous, quartier aristocratique de la ville, de surprendre la même personne en posséder deux, voire plus grave, trois. Tout le monde sait que la baisse du prix entraîne ipso facto un affaissement de la qualité mais la qualité existe-t-elle encore ?
Un génial homme d’affaires horloger avait même imaginé une gramouille écologique privilégiant les énergies renouvelables, la smartouille, entreprise audacieuse et louable mais les américains, insensibles à ces arguments en condamnèrent l’entrée dans leurs frontières. Cet embargo funeste fit mourir l’idée dans l’œuf.
Aujourd’hui, l’achat d’une gramouille de qualité mais sans excès ne grèvera pas votre budget mais deux ans, éventuellement trois semblent une durée de vie raisonnable, pas plus, l’obsolescence guette à tous les rond-points. À chaque ramassage des grandes poubelles au bord des trottoirs citadins, il n’est pas rare d’en voir l’une ou l’autre dans un état qui ne justifiait certes pas son débarras. Ceci est la signature de notre société de sur-consommation : On achète puis on se lasse, alors on jette, on achète le nouveau modèle, on se relasse et l’on rejette sans regrets.
C’est ainsi que la gramouille, devenue tristement populaire, a vu son prix de vente réduit et sa valeur de rachat carrément illusoire !
Restent les collectionneurs qui se frottent les mains à la vue de l’augmentation pharaonique des prix d’une classe à part des gramouilles, les anciennes. Une part de snobisme préside certes à cette inflation dévorante de l’antiquaille nonobstant gonfle les poches des antiquaires.

Chapitre 3
Primitivement, la gramouille était presque exclusivement fabriquée dans un village tenu secret du haut Valais mais il était à prévoir que les usiniers chinois, japonais ou de Suisse allemande adaptent leurs outillages pour sa fabrication à moindre coût, c’est chose faite. On trouve même – et là, je rougis de honte – dans le catalogue d’Ikea certains modèles de gramouilles, (référence Hejtackrm). Bien entendu, leur facture est particulièrement peu soignée et les finitions illusoires, elles sont même considérées comme dangereuses par la société des consommateurs protecteurs de l’enfance déliquescente.
Mais connaissant ces outsiders de la consommation fieffés copieurs, il y a gros à parier que dans quelques années, la qualité de leurs gramouilles atteindront le même niveau que celui des nôtres… Voir supérieur !
Une usine française a menacé de délocaliser sa fabrication et les deux candidats à la présidence française se sont emparés du fait pour instrumentaliser des promesses promises à l’oubli. Attendons la fin des élections ! Les ouvriers gramouilleurs spécialisés se sont réunis pour entamer une grêve sur le tas, un tas de gramouilles semi finies.
L’accession au pouvoir des socialistes-normaux a redonné quelques espérances aux investisseurs mais il a bien fallu se rendre à l’évidence : De gauche, de droite ou d’ailleurs, les politiciens suivent la même voie, celle dictée par les quelques grands de ce monde.
La fabrication en excès de la gramouille a récemment fait l’objet de recherches structurées. Il est en effet question dans un article paru dans la célèbre revue « practical sciencal immigration », de les recycler. On a envisagé d’abord de les brûler ou de les enterrer ou même de les immerger au fond de la mer morte mais aucunes de ces issues ne furent jugées en accord avec les accords de Kyoto, le sujet a été habilement dissimulé lors de la dernière campagne électorale.
À l’image des déchets nucléaires, des bouteilles de pet et de nos poubelles payantes, le recyclage des objets de notre consommation asymptotique demeure une enigme planétaire. ( A suivre, si vous le pouvez, l’épuisement menaçant)

Chapitre 4
Longtemps, la gramouille fut considérée d’utilité majeure aux riches intellectuels en priorité, aujourd’hui, le plus humble des manœuvres en possède une au minimum. Est-il à même d’en apprécier toutes les finesses ? La question reste posée.
On a récemment vu, à l’image de Mac Donald, fleurir une chaîne de magasins spécialisés dans la diffusion de la gramouille. Ces entreprises d’obédience américaine proposent une vaste panoplie de gramouilles aux prix aussi variés que la facture de ces objets. Ils ont même – Ah ! Ces Américains ! introduit le take away : On commande la gramouille de son choix, ceci depuis sa voiture, on paie avec une carte de crédit et l’on emporte sa gramouille. Ce procédé manque évidemment de poésie mais le monde actuel réserve-t-til encore une place pour le lyrisme ? L’idée qu’aujourd’hui 74.5% des gramouilles vendues le sont à crédit ou en leasing me fige.
Les publicitaires, ces grands connaisseurs de nos bas et médiocres instincts ont pris la décision de s’emparer du cas gramouille. Ils ont rapidement conclu qu’il était grand temps de la transformer et de créer une grande famille diversifiée de gramouilles.
Sa forme séculaire indémodable fut prestement repensée pour répondre à la vanité des modes successives incitant le chaland berné à s’en procurer de nouvelles le plus souvent possible. Ces professionnels de la surconsommation ont même mis au point une ruse dont l’honnêteté laisse les puristes sur leur faim.
Ils ont fabriqué une nouvelle gramouille aux lignes séduisantes, à la finition top niveau mais un tout petit défaut décelable par l’utilisateur a été discrètement inséré. Ainsi ce petit défaut insignifiant au premier abord, va insensiblement devenir insupportable à l’utilisateur. C’est alors qu’une nouvelle gramouille sera proposée au public. Le petit défaut aura naturellement été corrigé laissant tout de même un autre tout petit, mais tout petit défaut, tout petit et insignifiant …
Ce nouveau marché de la gramouille adapté au monde mercantile d’aujourd’hui n’a pas que des avantages, nous l’allons démontrer séant : Lorsqu’on joue gagnant, d’inévitables, souvent asiatiques copieurs ne sont jamais loin de la porte… C’est ainsi que bardés de puissants appareils de photo japonnais, d’odieux chinois ont envahi le marché mondial de gramouilles, répliques presque parfaites de la gramouille de chez nous… Mais chinoise !
Fabriquées par des ouvriers chinois payés en monnaie de singe, comme on pouvait s’y attendre le prix de leurs gramouilles fut largement au-dessous du nôtre !
Obligés d’offrir à leurs salariés de chez nous jamais contents des montants superfétatoires de charges dites sociales, d’aucuns patrons bien inspirés décidèrent de délocaliser, c’est-à-dire fermer leurs usines pour les transférer vers les pays de l’Eldorado, c’est-à-dire ceux où les ouvriers sont tellement contents d’obtenir un travail qu’ils acceptent n’importe quel salaire. La gramouille low cost était née.

Chapitre 5
Sarkonain, nouveau président français avait promis de faire cesser cette hémorragie mais n’ayant pas su retenir sa femme qui est allé se faire sauter ailleurs, comment aurait-il pu endiguer cette fuite du commerce d’objets qui sont allés se faire sculpter ailleurs.
En produisant des objets d’exception, c’est l’horloger Hayek déjà connu pour ses montres à dix sous et ses voitures ratées, qui décida de s’emparer du dossier. Il annonça qu’il allait fabriquer une gramouille à la technologie inconnue jusqu’alors et cerise sur la gramouille, hautement respectueuse de l’environnement. Cette gramouille aux mécanismes philosophiques uniques serait, vous n’allez pas le croire, proposée au consommateur à un prix inférieur à dix mille francs, défi à première vue, impossible. Fonctionnant à l’énergie du désespoir et ajoutées les contraintes imprévues dictées par le gouvernement, le projet fut abandonné et c’est l’usine Merdécès, propriétaire de riches émirats, qui le racheta. Un premier but fut de renommer cette gramouille dont le nom sonnait vulgaire. En effet chaque directeur nouvellement engagé dans une entreprise se doit de laisser une trace de son génie aux générations futures … Il fut proposé par le jeune préposé : Ratouille, bidouille, citrouille, tripatouille, bicouille, niquedouille ou encore mistouille mais après d’interminables luttes d’opinions et contre-opinions, il fut décidé à l’unanimité des voix plus une de conserver le mot gramouille, dans le fond, pas si mauvais que cela. C’est ainsi que se prennent les grandes décisions au sein des assemblées d’investisseurs.
En conséquence, lorsque vous croyez acheter une gramouille, c’est en fait une Merdécès qu’on vous fourgue ! ( NB : La gramouille n’est pas une auto).

Chapitre 6
La gramouille originellement destinée à un banal usage quotidien de tous les jours y compris les jours fériés, se révéla au cours des siècles un véritable événement de société, décadente, certes mais société tout de même.
Le jour de ma naissance dont je n’ai qu’un pâle souvenir, une gramouille de paille et d’épeautre fut délicatement déposée sur mon berceau, c’est dire si ma vie à venir allait se dérouler sous l’effigie de la gramouille. Etait-ce une chance ? La main du diable ? L’aurore d’une psychopathologie iatrogène ? Ce n’est que l’avenir qui le dira.
Bien sûr, cette première gramouille n’était en fait qu’un hochet la représentant maladroitement mais il est bien connu, la religion l’a compris depuis longtemps : Plus l’on intoxique un enfant tôt, plus l’impact sera profond et durable et plus il lui sera difficile de s’en débarrasser. C’est ainsi que ma première gramouille fut malgré moi l’aînée d’un longue série.
Les suivantes furent évidemment calibrées en fonction de ma taille d’enfant et faites de composantes anallergiques bio mais elles se complexifièrent au fil de ma croissance qui fut harmonieuse, merci !
Aujourd’hui, je peux m’enorgueillir d’en posséder une réunissant les composants des toutes dernières technologies, en bref, je possède la Rolls des gramouilles.
Alors me voici accompagné de la plus prestigieuse des gramouilles conçues à ce jour, je m’arrête un instant et plongeant au plus profond de moi, je me questionne : Cette splendide gramouille que j’ai tant désirée et qui aujourd’hui m’appartient, me rend-elle plus heureux ? Plus fort ? Plus jeune ? Plus intelligent ? N’ai-je pas été le jouet inconscient de ma naïveté vaniteuse ? Aussi sculpturale que soit ma gramouille, je reste le même, avec mes imperfections, la médiocrité toujours prête à émerger et sévir, cette gramouille que j’ai tant convoitée n’était-elle qu’un alibi à ce bonheur que l’on passe sa vie à traquer dans d’autres lieux. N’était-elle que ma manière à moi de compenser mes insuffisances en les intégrant dans un objet transitionnel ?
Cette prise de conscience fut suivie d’une décision aussi réfléchie que sans appel : J’allais dès maintenant tenter l’expérience suivante : Je devais apprendre à me passer de gramouille. Comme l’alcool ou le tabac, je la considérais comme une addiction qu’il était urgent d’éradiquer. Malheureusement, s’il existe moult associations de buveurs repentis, de fumeurs décidés à stopper et de drogués aidés par des professionnels dévoués, il n’y a pas encore, et c’est profondément regrettable, d’organismes pour guérir les addictions à la gramouille.
Chapitre 7

Il est des questions qui déstabilisent nonobstant essentielles et courageuses : Ma vie est-elle supportable sans gramouille ? Une réponse positive me traversa la bouche mais n’est-ce pas un peu facile et peu conséquent de s’en tenir à une parole ? Nul n’ignore que le sevrage d’une dépendance bien ancrée peut sembler assez aisé à réaliser mais pendant combien de temps ? Une semaine ? Un mois, peut-être, probablement, mais après ? À quand la prochaine rechute ?
Rassemblant alors le courage dont je n’étais plus détenteur, je décidai solennellement de renoncer à ce sevrage jusqu’à nouvel avis ! Merde ! La vie est trop courte !
C’est alors que, regagnant mon logis, mon premier regard fut dirigé vers ma gramouille suivi immédiatement d’une sensation de bien-être et de satisfaction, une sorte d’harmonie interstellaire ; pourquoi allais-je me priver de ce bonheur à portée de main ? De quel droit me priverais-je d’un plaisir ma foi bien innocent ?
Me plongeant dans la lecture d’un hebdomadaire débordant de couleurs et de conseils ineptes et très coûteux, entre une crème anticellulite, un parfum incitant aux jeux de l’amour et la lotion qui ressuscite les cheveux ayant quitté le front à reculons, j’avise un article au titre prometteur :
Et si vous collectionniez des gramouilles !
Vous ne possédez pas qu’une paire de chaussures, un seul pantalon, un unique ticket de papier hygiénique ou une seule petite cuillère à dessert, alors pourquoi n’avoir qu’une gramouille ? Depuis Léonard de Vinci, le premier concepteur d’une ébauche de gramouille, il s’en est construit une quantité impressionnante, en taille, matériaux, formes et couleurs. Les artistes n’ont eu de cesse de créer inlassablement de nouvelles gramouilles et il suffit de fréquenter les boutiques d’antiquaires, chiffonniers et autres marchands des quatre saisons pour constater qu’en effet la diversité des gramouilles est immense. Ma surprise toucha à son comble quand j’en vis une en modèle réduit. Mais moi qui hier encore étais prêt à m’en passer totalement, allais-je maintenant les collectionner ? Un élan d’auto-mépris me frappa de plein fouet !
La constatation que l’humain ignore le juste milieu pour se vautrer dans les extrêmes me traversa l’esprit, de plus, j’en étais la médiocre victime. A l’image du mendiant ayant tellement manqué de nourriture et se trouvant devant un plat succulent, allais-je me précipiter pour acquérir une collection de gramouilles ?
Chapitre 8

Un article lu dernièrement attisa mon esprit : Le profil du collectionneur voire même de l’avare se voit initié lors de la petite enfance. Il est question ici du pot de chambre ; sans plaisanterie scatologique, voici le mystère : Bébé est sur le pot. Y est-il parcequ’il a réellement besoin ou parce que sa mère a décidé qu’avant de préparer son masque anti rides, bébé devait faire caca ?
Ses excréments sont le premier acte de cadeau offert aux parents qui en sont très satisfaits et le félicitent. Si il veut – excusez la grossièreté du propos – faire chier son monde il se retient, ainsi les bases du chantage sont déjà établies. Plus tard, beaucoup plus tard, le collectionneur ou l’avare retiendront par devers eux des biens, rien que pour eux, étonnant, non ?
La minute d’introspection sans complaisance achevée, je sombrais dans les bras de Morphée, ma somptueuse gramouille délicatement déposée au pied de mon lit, jouxtant mes charentaises et le livre : Oui ! Vous pouvez vous passer de gramouille en 10 leçons.
Le sommeil fut agité, des gramouilles volaient au-dessus des nuages sur lesquels j’étais assis, pour aller s’écraser sur le soleil puis plongaient dans les abysses du lac Léman à la grande frayeur des brochets et des sardines irisées.
Einstein avait relevé que certaines des plus angoissantes équations avaient été résolues durant son sommeil, la mienne répondit parfaitement à ce schéma …
Je me réveillais encore tout barbouillé de rêves anachroniques désincarnés, à peine mes yeux ouverts, une certitude qui hier encore eut été absente, m’envahit : Mon avenir m’apparaissait comme une route droite sans obstacles ; il était désormais inscrit dans une attitude sans équivoque, une sorte d’évidence qui aurait du me frapper il y a bien des nuits, une seule nuit avait suffi à révéler un fait qui pourtant sautait à mes yeux ciliés, ma vie allait dérouler son tapis glorieux sous le signe de la gramouille. J’avais acheté, usé, jeté combien de gramouilles, il était temps aujourd’hui d’en fabriquer.
Création, dessins, prospection, usinage, après Mac Donald et son trop célèbre hamburger big mac, je deviendrais, c’est sûr, le pape de la gramouille.
Trop longtemps, les chalands s’étaient contentés de gramouilles vulgaires objets transitionnels de consommation aux destinées troubles, trop longtemps, abandonnant toutes exigences pourtant licites, les gramouilles avaient accompagné nos destinées atrophiées sans panache, nos déserts arides, il était temps de réagir, de relever un défi dont la dernière nuit m’avait persuadé d’être le promoteur : J’allais séance tenante devenir fabriquant de gramouilles.

Chapitre 9
Le succès d’une entreprise obéit à certains paramètres vitaux :
Je consultai les meilleurs fabricants de paramètres vitaux, les plus prestigieux peintres en boniments, d’éminents criminologues morts de fatigue et la faculté de médecine illégale. Tous furent unanimes : Mon projet, bien que délirant d’audace était réalisable sous condition de le conserver dans ma boîte à fantasmes. Le défi frisait l’inaccessible mais les encouragements consolidèrent mon ambition : L’ère de la gramouille nouvelle était annoncée, paix aux cendres de la vieille gramouille, vive la gramouille du XXI ème siècle. À l’instar du coca, de Sugus, Citroën ou le Marseillais, il convenait de trouver un nom accrocheur à ce nouveau venu, un nom profondément ancré dans le subconscient collectif, après trois trimestres de consultations, il fut unanimement décidé de le nommer gramouille. Alors les publicitaires regorgeant de génie inventèrent des slogans accrocheurs dont voici quelques exemples :
La gramouille ne coule ni ne rouille ! Gramouille un jour, gramouille toujours Vous rêvez de gramouille, réveillez-vous ! Gramouille, quand tu nous tiens ! Attention ! Une gramouille peut en cacher une autre ! Femme à gramouille, femme à chatouille !
Des photos furent ensuite réalisées en couleur sous des angles les plus audacieux, une campagne à la ville fut mise sur trépied. Devant l’ampleur du phénomène, une partie des capitaux consacrés à Alinghi furent déroutés, Bertarelli depuis ce jour ne décolère plus. Le contactant à Valence, nous lui avons proposé de faire figurer une gramouille sur son spinnaker, l’argent appelle l’argent, le succès appelle le succès ! Nous sommes en discussion avec Oracle. Larry réclame le brevet de la gramouille pour l’installer sur ses catas…… A voir !
Un terrain de 48 hectares fut acquis pour édifier l’usine à l’effigie d’une immense gramouille multicolore trônant sur le porche de l’entrée principale. Tout prenait forme, évoluait et se construisait lentement et porté par une détermination sans faille, une ère nouvelle était née !

Chapitre 10
La première assemblée générale des actionnaires fut programmée pour lundi à 14 heures. Les cartons d’invitations proposèrent à la presse et la télévision de participer in corpore à la fête, la gazette du port y occupa une siège prestigieux, il fallait glorifier dignement l’événement.
En chef responsable, le président François lui-même se joignit à nous. Sa venue, parfaitement désintéressée, il se renseigna tout de même discrètement sur nos ambitions, à savoir s’il était de nos intentions d’engager quelques frontaliers pour endiguer la progression du chômage dans ses départements.
Le grand jour approchait, la tension montait, le suspens siégait à son apogée, dans la grande salle de concert du casino, deux milles personnes étaient présentes, dans un silence de plomb au fond de la mer, l’impatience ajoutait à la curiosité … Le temps suspendait son vol… !
Quelques magnums de champagne accompagnés de petits-fours au caviar étaient sensés rendre la soirée particulièrement joyeuse.
C’est alors qu’une main se leva, tout au fond de la salle, la première question allait être posée …
- « Excusez-moi mais au risque de paraître ignare et stupide, sachez que j’apprécie hautement la manifestation présente mais quelqu’un peut-il me préciser ce qu’est exactement une gramouille ? »
La question jeta immédiatement un froid glacial dans l’assemblée. On avait prévu toutes les questions, pas celle-là. Etait-ce de l’impertinence, de la grossièreté ou l’ignominie qui avait présidé à la question ? Immédiate et cinglante, La réponse ne se fit pas attendre : Se levant brusquement, notre correspondant aux causes perdues s’exprima :
« Vous êtes croyant, je suppose. Avez-vous déjà posé la question de savoir à quoi ressemblait votre dieu ? Et le diable, a-t-il des cornes ?»
Alors, comme pétrifiée l’assemblée, la salle se vida comme une baignoire d’eau polluée et le projet fut tristement, lamentablement, inexorablement abandonné.
Le président des Français réclama le remboursement de son billet de train, (première classe) le champagne et le caviar furent distribués à un EMS pour consommation exceptionnelle. Une seule question, celle qu’il ne fallait en tout cas pas poser avait été posée, il avait suffi d’un insolent, un extrémiste des causes en déshérences pour que l’affaire sombre dans la plus crasse l’indifférence.
Chapitre intermédiaire imprévu hivernal :
Episode neigeux

Une grande et magistrale réunion de gramouilleurs avait été programmée pour ce dimanche 1er février. De très nombreux passionnés devaient se passionner les uns avec les autres lors de passionnantes rencontres sur la Place du Marché. Bien sûr le rendement particulièrement juteux des magnifiques parcomètres ayant remplacé les feux-peupliers fut un obstacle à l’initiative. Il fallut négocier le manque à gagner pour la commune financièrement aux abois. L’accord final ne regardant personne, il ne fut pas divulgué.
Il était question d’exposer à l’admiration d’un public averti, nombre de gramouilles de la plus populaire faite de matériaux basiques ou même de produits de récup. aux modèles de collection sertis de diamants et connectés Iphone.
Une foule de gramouilleurs de toutes religions était attendue dans l’impatience d’un jour d’hiver. La radio délocalisée, la télévision et la gazette du port étaient prêtes à relater cet événement d’une texture exceptionnelle. On avait prévu de nombreuses interviews, il était même amusant de noter de bizarres accents prononcés par d’aucun étrangers. Allez demander à un chinois, un hollandais ou un fribourgeois de prononcer le mot gramouille!
Tout ceci semblait bien ficelé lorsque … Un monumental bug comme l’on dit aujourd’hui court-circuita l’événement, la fête ne pouvait voir le jour !
Etait-ce l’annonce de terroristes sévissant dans l’est vaudois, on savait qu’ils avaient bouté le feu il y a quelques jours à une maison de Chardonne ? Etait-ce un tremblement de tsunami généré par un coup de vaudaire intempestif ou l’invasion inopinée de sauterelles propageant la grippe sauterellaire ? Ou était- ce tout simplement la commune prétextant la future fête des vignerons qui lui avait réservé la place du marché ?
Rien de tout cela ! Deux éléments décisifs furent par contre à l’origine de cet annulation planétaire : La neige qui d’habitude réjouit les enfants avides d’interminables glissades ; mais qui dit glissade ajoute, le front dépité, glissade itou sur les routes et les voitures transportant le précieux matériel d’exposition. De plus, la neige tombant sur les gramouilles exposées et pour certaines, fragiles, était à proscrire. Mais s’il n’était question que de neige ! D’aucuns gramouiologues qui avaient opté pour un voyage trans – lémanique avaient, les naïfs, réservé leurs billets d’avion à Air-France ! Une grève des gonfleurs de pneus de Boeings avait paralysé le trafic, les avions étaient restés lamentablement cloués au sol.
L’idée magistrale de cette grande réunion avait du coup sombré dans les abysses du Léman.
Un philosophe de mes amis ne décolérant pas me fit part de sa vision philosophique de l’événement : La plus importante des réalisations, le projet le plus audacieux, ou la santé de nos congénères peut, l’espace d’un grain de sable, d’une chute de neige ou d’un minuscule virus, capoter, la fête fut en conséquence reportée à l’été. Mais il a été prouvé par les scientifiques de haute Engadine que les gramouilles ne supportaient que très mal la chaleur du soleil !
Ainsi la place du marché retrouva ses parcomètres générateurs de bienfaisante monnaie sonnante. Ouf ! On l’avait échappé belle ! Une porte doit être ouverte ou fermée, chez nous on préfère la fermer.

Chapitre 11
Plusieurs mois me furent nécessaires pour surmonter le traumatisme enduré, un séjour dans un sanatorium obsolète suivi de deux mois de régime sans sel, sans viande et sans mille-feuille me ramenèrent lentement à la vie, enfin … Un succédané de vie !
Durant ma convalescence qui devait m’aider à opérer le deuil de cette funeste entreprise, je n’avais pourtant pas cessé de penser à ces nouvelles gramouilles de la jeune génération en marche. Une forme de honte accompagnée du constat d’échec auraient dû m’inciter à l’oubli, rien n’y fit, La gramouille pleurait encore et toujours dans ma tête.
Alors une idée germa dans cette même tête tapissée de l’échec encore vivace, une idée qui n’aurait jamais du y germer, une idée, disons-le tout net , impensable dans un crâne honnête.
J’envisageai tout de go une escroquerie ! Quelle place Satan avait-il bien pu insérer dans ma tête jusqu’ici considérée comme probe, pourquoi l’homme aux qualités de droiture devient-il soudainement la pire fripouille, comment un non-violent se mue t-il en criminel ? Ne sommes nous donc pas tous que des voyous en devenir, des assassins potentiels en attente de l’opportunité pour passer à l’acte ?
J’étais ainsi prêt pour fomenter mon projet diabolique : Internet, moyen de communication anonyme allait se muer en support … Une fenêtre, le temps de mes réflexions s’était ouverte sur mon écran :
Impossible de vous connecter à Internet,
Vous n’avez pas acquitté votre redevance
Trois mois d’asile psychiatrique, section délire obsessionnel plus tard, je me retrouvai sur le trottoir d’en face, dix kilos de perdus et quelques ambitions érodées.
Il fallait absolument retrouver un sens à une vie dont l’élément essentiel avait été étêté, le nerf moteur lobotomisé, la colonne vertébrale de ma vie, privée de sa substantifique moelle.
Une vie gâchée par la gramouille… C’est alors que plongeant dans les tréfonds de mon subconscient encombré que je me mis à mieux comprendre les alcooliques, les fumeurs, les travailleurs et l’humanité déliquescente, c’est alors, tout au fond de mon abîme de désespoir que je décidai de consulter mon philosophe préféré.
Certains ont leur dentiste, leur gynéco ou leur coiffeur, moi j’ai mon philosophe !

Chapitre 12
Rendez-vous fixé, j’arrive à l’heure dite chez le maître, la philosophie n’exclut pas la ponctualité. Il me reçoit dans son cabinet de consultation.
Moi qui naïvement m’attendais à un apaisement, moi qui pensais trouver non seulement la sagesse incarnée, moi qui payais un homme de la science de l’âme pour qu’il me transmette une once de son harmonie intrin secte … Où que je me tourne dans son bureau, quel que soit l’angle de ma vision écartelée, des vitrines, encore des vitrines, des grandes des petites et que contenaient ces vitrines ? Une collection sans pareille de gramouilles modèles réduits, la plus magistrale alignée de gramouilles jamais vue !
Je quittai instantanément l’homme des névroses sous prétexte de violent prurit testiculaire, le pauvre homme qui prétendait déverrouiller les secrets de mon âme en péril ne comprit jamais l’étiologie de mon départ avancé.
Mes espérances déçues suite à cet événement aussi imprévisible que surprenant, j’errai une fois de plus sur le trottoir de ma déréliction à la recherche de rien, mais rien, c’est déjà quelque chose.
Durant les dernières décennies, la psychologie est descendue dans les rues les plus populaires, démocratisation bienvenue, le sexe aussi. Dépénalisant certaines idées propagées depuis longtemps, corollaire indésirable, la pornographie a suivi, propageant une grosse vague déferlant sur le pauvre monde frustré de sexe.
Un exemple : Autrefois, certains libertins chevauchaient dans leurs garçonnières friponnes, d’avenantes naïades presque consentantes. L’homme étant d’essence voyeur, il n’était pas rare que pendant ses ébats amoureux, il dirige son regard, non sur celle qu’il avait l’heur de combler mais vers d’aucuns miroirs disposés par hasard aux endroits stratégiques de la chambre, on en a même vu au plafond. Ainsi le mâle avait tout loisir non seulement d’agir mais, oh ! Luxe suprême, de se voir agir. Autre détail, accumulant les tares, il se trouve aussi fantasmer son accomplissement dans la polygamie. Assistant donc à ses propres ébats par miroirs interposés, il pouvait ainsi avec un peu d’imagination assister au spectacle de toutes les femmes qu’il aurait voulu avoir.
Aujourd’hui, non seulement ces objets aux reflets indiscrets sont souvent installés mais le progrès technique aidant, les dits miroirs sont montés sur charnières et suivez mon regard libidineux, ils sont orientables, grâce à une petite télécommande discrètement attachée à l’oreiller …
Pourquoi cette parenthèse libido – graveleuse ? Simplement parce qu’est apparue récemment – Dieu me pardonne – une gramouille en tant qu’objet de plaisir et de jeux érotiques. Qui aurait pu penser qu’un jour la gramouille, ce concept hautement respectable né de la civilisation judéo-chrétienne présent dans toutes les familles bien pensantes, fut transformé par de mercantiles cerveaux en objet à mi-chemin entre le godemiché et la poupée gonflable ? C’est ainsi que le marché de la pornographie s’empara ipso facto de la gramouille qui figure aujourd’hui tristement dans la plupart des catalogues de cette méprisable industrie.

Chapitre 13
… Puis, je vous ai rencontrée !
Déplaçant mes kilos à la traîne, je vous vis. Assise sur un banc public, je fus immédiatement frappé par une gramouille que vous aviez délicatement disposée à vos côtés.
Etait-elle plus belle que les autres ? J’avais durant ma vie, rencontré des centaines de gramouilles, des petites, des molles, des stupides ou encore certaines de portées aristocratiques mais jamais aucune d’entre-elles ne m’avait procuré une telle émotion, c’est ainsi que je compris qu’une gramouille quelle qu’elle soit, n’a d’âme que celle qui la possède.
Mon émotion à cette vision fut telle que presque à mon insu, je m’approchai …
Vous auriez pu me signifier votre désaccord en me tournant le dos et serrant votre gramouille plus près de vous, c’est un sourire beau comme un soleil au zénith de l’été qui me fut présenté, je compris alors que vous étiez messagère d’amour et que la plus laide des gramouilles dans vos jolies mains ne pouvait être que radieuse.
Courir une vie durant à la recherche de la gramouille idéale et parfaite, traquer la perle venue des pays exotiques où jamais les nuages ne s’aventurent, toutes mes expéditions sans âme furent vaines. Organiser des voyages accompagnés d’éminents gramouillologues pour tomber en extase sur une gramouille banale posée sur un banc à cent mètres de chez moi !
Malheureusement, la sirène du banc m’avoua son amour pour ma personne mais partageant sa gramouille depuis nombreuses années avec un homme insensible à son charme, elle n’eut pas la force de le quitter. Je lui proposais pourtant de partager sa gramouille le temps de quelques rencontres intimes, une gramouille qui aurait pu sceller un amour naissant mais, tenace, comme les vieilles habitudes, ma proposition lui était impossible, on ne se sépare pas facilement d’une gramouille même si elle n’est plus partagée avec amour.
Triste, je m’en retournai sans me retourner, laissant cet amour avorté consumer mon cœur blessé. C’est un ami qui recueillit mes pleurs m’assurant que si l’amour est une entreprise dangereuse, notre amitié demeurait intacte. Dommage que les amis ne remplacent pas l’amour, ce serait plus facile.
Chapitre 14
C’est à cette époque que la France était en quête d’un nouveau président, l’ancien vieillissant et mollissant en avait même un peu perdu sa folie du pouvoir, un plus jeune et plus puissant fut choisi par le peuple. Ce nouveau venu compensait sa petite taille par une dégaine de pitbull et une forte propension à ne pas tenir ses promesses.
Sark-aussi, l’homme aux mille promesses et aux tentacules d’octopus se présenta vêtu de son orgueil démesuré, sa démarche de canard en goguette et fut élu. Le plus étonnant fut, mis à part une démocratie sans chômage, sans pauvreté, sans défavorisés, sans violence, sans dessus dessous, la formelle promesse d’un remaniement de la gramouille sans compromis fut alignée. Durant le règne de son prédécesseur Mirac, déclama-t-il, nous avions tous assisté, impuissants à l’effondrement de la valeur ajoutée de la gramouille pourtant avec le TGV, L’airbus, la moto décrotteuse des trottoirs, la gramouille faisait partie du fleuron de la technologie aussi française que géniale. Il était las patent de constater que le TGV allait de plus en plus vite, l’Airbus transportait aisément quarante équipiers de foot accompagnés de quelques filles de joie et … La gramouille n’avait pas évolué.
Méfiant de nature, je consentis à laisser au nouvel élu le bénéfice de quelques mois pour matérialiser le sac de ses promesses.
Trop de politiciens ont déjà abusé de la crédulité naïve de la population travailleuse, trop d’hommes de pouvoir ont déjà promis le soutien financier à la gramouille aussitôt sombré dans l’oubli, trop de mères indignes abandonnent leurs enfants, je n’abandonnerai pas la gramouille, même si je ne suis pas soutenu par la gent politique.

Chapitre 15
C’est alors qu’un événement aussi étonnant qu’imprévu bouleversa le monde des affaires, les concepts de filouterie hôtelière et la culture des groseilles en serre au mois de décembre.
Le directeur de Nestlé par-delà le montant d’un salaire superfétatoire, comme vous, comme moi, comme le plus humble de ses commis, à intervalles réguliers lorsque tout se passe bien, satisfait ses besoins physiologiques, comme vous, comme moi, il boit, il mange, satisfait à des flatulences et se rend aux wc. Le fait que sa robinetterie brille d’un or dix-huit carats et que sa cuvette soit issue des verreries de Venise et décorée par Le Titien et l’eau distillée effaçant le résultat d’un transit intestinal réussi ne change rien à l’affaire, ni plus ni moins que vous et moi, il pose sa pêche une à deux fois par jour, c’est une des rares justices de ce monde.
Autre détail scatologico-intellectuel, à côté de la cuvette d’obédience princière, un vulgaire quotidien lu à un moment fatidique l’aide à la tâche expulsive. Ainsi l’homme le mieux payé loin à la ronde, assis sur le trône, le caleçon à ses pieds, lit le journal. J’en ai personnellement fait l’expérience, ce moment de grâce pendant lequel les sphincters sont béants, favorise largement l’activité cérébrale. Bien des savants ont fomenté de savoureuses découvertes dans ces lieux d’aisances et c’est justement là que notre directeur prestigieux, pendant l’expulsion libératoire, entre deux flatulences sonores, aperçut au bas d’une page du journal, une publicité pour une gramouille, oh ! Rien de spécial, une petite annonce vantant maladroitement les avantages de la gramouille.
Alors d’une main depuis longtemps reconnue comme ferme, il arracha trois coupons triple couche du papier migros low price enroulés à la droite de la cuvette et après avoir éliminé les restes indésirables de ce retour à la nature, il remonta son caleçon, ajusta sa cravate, se gratta le menton et il sortit des toilettes en prenant soin de prestement refermer la porte évitant ainsi de laisser se répandre certaines odeurs laissant apparaître qu’il n’était en somme qu’un homme. Son épouse connaissait l’homme sachant très bien que selon l’endroit du menton gratté à la sortie des toilettes, il était de bon ton soit de l’encourager, soit de se la coincer car une idée géniale germait et qui avait pour mission d’attiser drastiquement le chiffre d’affaires de Nestlé.
La soirée se déroula dans un climat de concentration, l’idée était dans le fruit, il n’allait pas tarder à mûrir.

Chapitre 16
Le lendemain d’une nuit qui porte conseil, il se saisit du téléphone posé sur le bureau de chêne massif, sonne sa chef des idées reçues par lui :
- « Nelly, s’il vous plaît – car il est toujours poli avec ses inférieurs hiérarchiques – veuillez me rejoindre dans mon bureau. »
- « Habillée ? »
L’on ne fait pas attendre un directeur, trois minutes plus tard, Nelly toute de noir vêtue, la couleur de la soumission et du deuil, tapote à différents endroits sa tenue couleur corbeau et entre …
- « Prenez place et regardez-moi bien ! »
Alors, gonflant le torse en signe d’autosatisfaction primaire et recentrant sa cravate de soie naturelle, il s’appliqua à exposer le fruit de ses réflexions vespérales :
- « Nous allons fabriquer une gramouille en chocolat ! »
Nelly qui dès le premier jour de son engagement avait signé un acte de soumission corporelle, vestimentaire et de l’âme, se redressa de son fauteuil, croisa les jambes en direction de la porte de sortie, s’éclaircit la voix d’une petite toux nerveuse et, était-ce par mimétisme ou par tendance homosexuelle, recentra la cravate qu’elle arborait, elle aussi :
- « Patron ! Vous êtes génial ! »
- « Je sais, On me paie pour cela ! »
L’exclamation de sa secrétaire collaboratrice et presque amie avait suffi à allumer dans l’œil du patron une petite flamme, la même que l’on pouvait observer lorsqu’il osait une œillade sur les fesses de sa femme juste avant de la rejoindre dans le lit matrimonial.
« Chère Nelly, vous permettez que je vous appelle Nelly, à moi les idées géniales, à vous leur réalisation, je veux une gramouille en chocolat au lait, une autre aux noisettes et on verra pour celle en chocolat blanc mais vous me voyez venir, nous sommes à l’époque de l’emballage, j’en veux un crash, un que l’on n’aura jamais vu, un que l’on n’ose même pas imaginer tant il sera épatant, un que les chocolatiers du monde entier nous envieront, Je vous laisse deux semaines pour me présenter le premier et dernier projet, rompez ! »
Une deuxième toux encore plus nerveuse émergea de la gorge nouée, concrétisa la réponse de Nelly qui après avoir respectueusement présenté ses hommages et sa soumission à son patron par une génuflexion, disparut derrière la porte sculptée et insonorisée du bureau directorial.
La mission était de taille, il s’agissait d’honorer la confiance offerte par un si merveilleux patron.

Chapitre 17
Nelly commença par annuler le rendez-vous avec son coiffeur, différer celui du gynécologue, remettre le petit tête-à-tête prévu avec le chef du contentieux et elle commanda à son pharmacien préféré un supplément d’antidépresseurs et d’aucunes vitamines stimulant la région des aires cérébrales génératrices des vertus créatrices.
Se saisissant alors de son attaché-case aux coins revêtus de garnitures dorées, elle monta dans sa voiture prestigieuse mais si basse qu’elle eut peine à dissimuler sa petite culotte de flanelle rose. Elle se dirigea ensuite vers son chalet à Verbier, lieu privilégié de ses édifications intellectuelles et dont l’amortissement, vu son salaire confortable, était étalé sur vingt ans.
Assise devant sa fenêtre encadrant d’éminentes cimes, elle prit soudainement conscience de l’importance de la mission qui lui avait été confiée ainsi que de l’incommensurable connerie de l’humanité consommatrice de chocolat et d’emballages.
Les annuités du chalet n’étant pas encore éteintes, elle commença à promener dans son esprit pragmatique le mot emballage puis gramouille et enfin chocolat. Elle pensa ensuite qu’un emballage avait pour mission essentielle de séduire, elle regarda ses vêtements noirs qui lui parurent ne pas répondre exactement à ce mot de séduction, pas étonnant que ses conquêtes fussent si rares … Mais le moment n’était certes pas à l’introspection.
N’ayant aucun point commun avec une gramouille en chocolat, même aux noisettes, elle décida tout de même vu quelques pulsions sexuelles constatées, de prochainement tenter l’audace d’une minijupe rouge.
Ce flot de réflexions l’avait insidieusement écartée du droit chemin, il s’agissait de rapidement se reprendre pour inventer un emballage spectaculaire assurant une ascension asymptotique du chiffre d’affaires de l’entreprise la nourrissant et écoulant du même coup le stock de chocolat invendu à l’époque des lapins de Pâques, une Pâques à la météo pourrie !
Brel un jour avait dit :
Le plus difficile n’est pas d’être génial mais de se mettre en état de laisser émerger le génie.

Chapitre 18
Notre civilisation est en pleine mutation affirmait le généticien Jaccard juste avant de se transformer en squelette. De toute l’histoire de notre planète terre, les septante dernières années ont subi des transformations jamais connues auparavant : La population humaine a doublé en nombre et toutes les valeurs engrangées au cours des siècles ont été remises en question, l’argent, la famille, le travail, l’amour et enfin la religion. Il est étonnant d’assister devant la perte des sécurités passées, à tout ce que l’homme a été capable d’inventer pour y croire encore !
À l’époque, la religion menaçait les moindres écarts de conduite d’un irrémédiable enfer dont les flammes viendraient lécher les pieds des fidèles qui s’écarteraient inopinément du droit chemin. Aujourd’hui, si l’enfer recèle moins d’adeptes – quoique … La vie après la mort demeure l’angoisse récurrente de l’humanité privée d’éternité. Or à l’instar du plus costaud d’une bande de gamins avec lesquels il est utile et opportun de lier amitié, un nombre impressionnant de dieux, gourous de pacotilles et autres charlatans sont parvenus à fleurir aux jardins des paumés de déréliction.
Comment les plus fantaisistes et stupides superstitions ont-elles autant d’adeptes, dans un monde farci de rationalité ? Encore une question sans réponse.
Et bien, vous me croirez ou non, je viens de découvrir parmi les adorateurs du soleil, du nombril de ma soeur, de la queue du fourmilier, une nouvelle secte adoratrice de la gramouille ! L’AGI ( adeptes de la gramouille intersidérale), c’est comme je l’écris !
Un culte lui est hebdomadairement voué durant lesquels de jaculatoires prières sont scandées au sein de chapelles ornées de gramouilles en or massif et serties de diamants. Le Grand Gramouilleur (GG) officie dans la plus stricte tenue sidérale et invite les gramouillophiles à s’agenouiller implorant la gramouille sidérale de les protéger et de leur permettre de gagner à la loterie.
Quelques versets ont pu être reproduits ici grâce à la caméra cachée de la Pirat-TV Company:
- Notre gramouille qui êtes dans l’espace intersidéral
- Donne nous notre pactole quotidien
- Délivre nous du mâle terrestre
- Et des autres religions
- Dessine en nos cœurs en berne
- De quotidiennes gramouilles
- Plus belles que celles des voisins
- Protège nous de la tentation
- De ne pas verser 10% de nos revenus
- Au grand gramouilleur
- Bordel, il faut bien qu’il remplisse le réservoir de sa Mercedes !
Les adorateurs de la gramouille, un jour, un beau jour, on le leur promet, seront revêtus de la vie éternelle au paradis des gramouilles. Une grande messagère (pourquoi une femme ? ) viendra sur terre les chercher et comme l’on monte un pur-sang, les élus seront autorisés à la chevaucher ( en tout bien tout honneur, cela va sans dire ) jusqu’à sa demeure au fond de l’éternité sidérale.
Bien sûr cette perspective paradisiaque doit se mériter, on n’a rien sans rien ! Le GG au-delà de sa mission sacerdotale, revêt aussi périodiquement la casquette de caissier. Chaque fidèle digne se doit d’acheter … Non ! le mot est vulgaire, doit se procurer au minimum une gramouille par mois, une gramouille s’entend, fabriquée par le GG lui-même. Au minimum, cela signifie bien entendu que c’est le service minimum qui, au paradis, lui sera réservé. Il n’y a par contre pas de limite supérieure au nombre de gramouilles achetées, leurs sorts post mortem seront évidemment adaptés, on ne voyage pas en première classe avec un billet de seconde !
Quelle félicité attend les adeptes généreux de la gramouille et quelle désolation sera celles des non-croyants ou vouant leurs croyances à d’autres dieux !

Chapitre 19
N’importe quel concept idéologique ou matériel, machine ou appareil implique un fonctionnement prévu par les hommes donc susceptible de receler des vices de fabrication ou d’aucunes maladies.
Une personne qualifiée sera ainsi nécessaire pour remédier à un état de panne, elle se nommera suivant les cas, thérapeute, réparateur, plombier ou encore service après vente, la gramouille ne fait pas exception à la règle.
L’estomac s’ulcère, les oreilles se bouchent, les yeux vont aux fraises, les pieds se micosent, l’amour se chagrine, le sexe s’habite… Les pathologies de la gramouille n’échappant pas à cet état apparurent et ne cessèrent dans l’évolution de la société, d’opérer une mutation sans égal, tant va la gramouille à l’eau qu’à la fin elle s’entasse!
Les gramouillopathies sont dès lors répertoriées et une chaire au café des amis leur a été récemment consacrée, il était temps !
Ainsi sont nés les gramouiologues, gramouiolistes, gramouillo-thérapeutes et autres gramoullopathes.
Avec plus ou moins de succès, ces spécialistes se sont partagé une clientèle exigeante et multiple.
La gramouillophilie névrotique est soignée dans certains établissements spécialisés en haute Engadine ou dans les cas les plus préoccupants dans le canton de l’Emmenthal, le traitement aujourd’hui le plus efficace est à base de fromage du cru qui l’eut cru ? La gramouillophobie est elle apaisée par d’aucuns gramouillolytiques copolymères synthétisés dans une université sans renom et d’obédience inconnue, ce sont les meilleures.
Le viagramouille est apparu sur Internet, la promesse de prouesses qui est paraît-il immédiate, demeure suspecte. Il faut se méfier des prouesses promises par informatique, des autres aussi.
Un problème subsiste, certaines assurances plus intéressées par leurs investisseurs que leurs patients, rechignent à couvrir ces traitements.
Et bien entendu, l’on peut évoquer les guérisons spontanées sans oublier Lourdes bien connue pour ses miracles à prix réduits.
Attention ! Les médicaments achetés en ligne ont donné lieu à moult supercheries : Les traitements gramouilles proposés sur Internet sont dans la majorité, conformes au code de déontologie animalière, par contre certains aigrefins internautes vous proposent des génériques de gramouilles sans aucun label de qualité pour les matériaux et les idéologies qui les composent, ils peuvent parfaitement présenter à l’usage, des vices de forme ou encore selon les critères drastiques de l’offre interplanétaire de santé par les racines des plantes monocotylédones, ils peuvent contenir à peine dissimulé, le virus tant craint du rhume des foins. Et tout le monde sait que les traitements anti viraux sont inopérants.
Si par malheur, vous avez acheté l’une de ces gramouilles et que d’indésirables et intempestifs éternuements arrosent votre voisin d’en face, débarrassez-vous au plus vite de l’objet ou vendez-le à un ennemi.
Les forbans ont toujours existé, ce ne sont que les moyens de vous tordre qui ont changé.

Chapitre 20
La gramouille a-t-elle un avenir ?
Angoissés par leur existence tronquée de la mort et un environnement au fonctionnement aussi aléatoire qu’inquiétant, les humains tentent de répondre à tant de questions posées au risque de formulations stupides, or la sagesse ne consisterait-t-elle pas à accepter qu’il existe des questions SANS REPONSES ?!
Dieu, les saisons, la gravitation, la migration des fourmis rouges géantes d’Afrique centrale, la femme et notre transit intestinal, pourquoi l’humain a-t-il tant de peine à avouer : Je ne sais pas ?
Et bien lorsqu’on me pose la question :
D’où vient la gramouille ? Et que deviendra la gramouille ? Je revêtirai alors ma chasuble d’homme ignorant et arborant un sourire édenté, j’avouerai à la terre entière : Je ne sais pas !
Me porterai-je plus mal après cet aveu déchirant ? Serai-je banni de la société des omniscients ? N’aurai-je plus droit à une sépulture digne d’un mort qui lui, savait ?
Au début, il y eut les arbres, l’eau, le cacaotier, les baleines bleues, l’éléphant et le maringouin. Selon d’aucuns écrits dignes d’inconscience, il semblerait que l’homme suivit immédiatement et celui qui se loge dans sa tête et que beaucoup plus tard on nomma cerveau, glissa à l’oreille de son homme un fait intéressant : L’arbre pouvait être détruit par le menuisier qui doit bien nourrir ses cinq enfants, l’eau, pompée pour imaginer des boissons qui ne désaltèrent pas mais se vendent en réjouissant les actionnaires de Nestlé, les baleines offrirent leur graisse pour l’élaboration de pommades raffermissantes pour les joues fragiles de madame, les défenses de l’éléphant faisaient l’affaire pour les touches des pianos vendus très chers à de piètres musiciens.
Et la gramouille ?
Bien sûr, elle fut imaginée bien après le cacaotier ou l’humain mais l’ampleur de son développement incita les autorités politiques de la santé, le président honoraire du club des aînés de Haute-Garonne et la défense de l’homme battu au poker, à créer une nouvelle profession dont les élus se nommeront les gramouilleurs.
Différents niveaux de spécialisations seront dès lors établis.
On peut dès à présent compter sur la hiérarchie suivante :
Le manœuvre gramouilleur qui suivra trois jours de formation intensive, une pose à 10 heures. Le gramouilleur sans complexe aura, lui, une meilleure approche du sujet, cinq jours de formation et une épreuve éliminatoire à la fin du stage. Le megagramouilleur recevra en plus d’une formation tridimensionnelle, de bonnes notions de météorologie, des bribes de virologie asiatique et pour conclure, le technico-physico – macrogramouilleur, sommet de la grande famille des gramouilleurs qui en plus sera instruit du métier de cuisinier à l’heure du coup de feu.
Tout ce monde du travail a bien tenté de créer un syndicat pour défendre ses intérêts mais le patronat catholico révisionniste extrémiste islamique a rejeté dans l’heure cette initiative malheureuse, juste bonne à perturber la tranquillité des nantis patrons.

Chapitre 21
À l’irruption sous-cutanée de l’informatique, nombre de professions ont subi de profonds bouleversements dans leurs structures ancrées depuis des décennies, certaines ont même tout simplement disparu. La transformation de la société, a elle-même subi dans d’improbables soubresauts le phénomène sus cité.
Plusieurs classes professionnelles spécialisées dans le secteur de la gramouille ont fondu comme glace sortie du congélateur un jour de canicule et l’on pouvait s’y attendre, sont aujourd’hui remplacées. Les gramouillonautes sont maintenant tenus de gérer d’indigestes programmes informatiques, la gramouillopathie de surface et la spéléogramoullomanie en règlent les problèmes de fond. Le monde d’aujourd’hui aurait-il pu se passer de gramouille ?
Cette question existentielle aux rebondissements macro énergétiques, ne contient en elle-même aucune réponse c’est la raison pour laquelle nous n’en fournirons pas.
Un philosophe autodidacte bouddhiste arboricolo troglodyte, a jadis tenté de répondre à la question récurrente, il est décédé juste après avoir prononcé le mot eurêka ! Il a emporté dans sa tombe la réponse qui aurait peut-être tourmenté ses descendants et l’amicale du café des ennemis.
L’orgasme ne manque pas à la femme qui n’en a jamais connu.
Au risque de me voir tancé par mon fils sans compromis, je me risquerai ici à appliquer cette phrase d’apparence anodine à la gramouille.
La voiture, la télévision, le rasoir électrique, le godemiché, le fil à couper le lait et l’eau tiède, autant de dépendances mortifères mais tellement génératrices de richesses, occupent nos esprits pervers !
Le manque de la gramouille n’est dû qu’à son existence. Ce n’est que la première gramouille inventée qui nous pose problème aujourd’hui. Un objet qui aujourd’hui n’a pas encore été inventé ne nous manquera pas. Etions nous en manque drastique de téléphones portables quand ils n’existaient pas encore ?
Un homme vient de passer au volant d’une rutilante et onéreuse automobile, en réalité un tas de ferraille bien présenté. La fierté teintée d’un brin d’insolence et un certaine compensation à son impuissance dessinent toute la tristesse du tableau.
Est-il absolument indispensable d’exister par un objet interposé ? Notre personnalité est-elle si insignifiante, si transparente qu’elle ne s’articule que par l’intermédiaire d’une belle voiture, d’une Harley d’Avidson, d’un costume de couturier ou d’une gramouille signée par un maître gramouilleur internationalement reconnu ?
Un très vieux professeur de latin de mes connaissances m’avoua un jour de sa retraite :
« Tu sais ! J’ai enseigné avec passion et conviction le latin à une bande d’incultes. J’ai tenté durant des décennies de les persuader de l’utilité de cette langue morte pour, je le pensais alors, le bien-être de leur culture.
Aujourd’hui, je réalise que le latin n’a plus aucun intérêt. C’est dur de reconnaître que l’on s’est trompé si longtemps, que l’on a gaspillé tant d’énergie pour rien. »
Je ne vogue pas très loin de cette triste révélation.
En feuilletant l’ancien testament d’une bible croulant de désuétude et d’ignominies, je lis : Tu ne convoiteras pas la graCouille de ton voisin ni sa femme même s’il est eunuque. C’est après cette révélation érotico biblique que je lus dix pages plus loin que ce que je pensais être la gramouille n’était en réalité que graCouille et le malheureux disciple qui eut le triste privilège de prononcer ce mot parjure se vit dans l’instant, jeté sans tendresse dans la fosse aux tigres du Bengale, les plus affamés du marché. Il n’empêche que le mot fut prononcé devant témoins et que ma vie consacrée à la défense de la gramouille se trouve caduque.
De gracouilles en gramouilles, les linguistes transformèrent tout en délicatesse le mot licencieux pour cet euphémisme bien connu et plus chrétien.
Étant maintenant trop vieux pour engager un nouveau combat de réhabilitation de la gramouille, je tairai ma souffrance, déclanchant une amnésie hémi mnémonique en ignorant toute autre forme de gramouille que celle du moment.
Il faut parfois savoir pousser la porte de l’orgueil pour venir s’asseoir sur le banc des invités.

Chapitre 22
… Puis surgit inopinément du monde ondulatoire le téléphone mobile.
Certaines conditions présidaient jadis à l’élaboration d’une conversation téléphonique : Il était de bon ton tout d’abord de posséder un téléphone et de se trouver à ses côtés ! Il était souhaitable ensuite de connaître par cœur le numéro du correspondant à appeler ou de consulter un énorme bottin généralement périmé au moment de la recherche. J’allais oublier l’envie qu’il fallait avoir de téléphoner à la personne.
Par définition, la conversation téléphonique exigeant de se réaliser à deux, l’appelé devait lui aussi se trouver à proximité de son téléphone. La conversation pouvait alors s’initier, nourrie de faits d’importance soit le dernier pique-nique sous la pluie, le film télévisé de la veille ou le temps de cuisson idoine du choux fleur ou encore l’attitude inacceptable de la meilleure amie qui trompe impunément son mari.
Tout ceci se déroulait à l’ère du pithécanthrope ou presque…
Comment avons-nous pu si longtemps nous passer du téléphone mobile ? Que de temps perdu ! Que de magnifiques communications ratées !
Aujourd’hui, vous vous trouvez n’importe où, aux WC, à la chasse aux papillons ou ici-même en chemise de nuit à froufrous, d’un clic, vous interrogez la megamémoire de votre appareil, pressez même un bouton au hasard et votre correspondant, qu’il soit aux WC, à la chasse aux papillons ou en chemise de nuit froufroutante, se voit contraint par l’intermédiaire d’une sonnerie stridente de vous répondre. Certes, il faut bien reconnaître que la sonnerie de nos grand-mères a été avantageusement remplacée par le choix que nous avons de la mélodie. Ça c’est le progrès ! La neuvième de Bethoven, la marche militaire des cinquièmes grenadiers de montagne ou la grenouille en rut, quelle variété de sonneries nous avons la chance de choisir. Finie, la solitude ! Bonjour les cinq cent personnes habillant la mémoire de votre natel !
Pourquoi cette digression littéraire à cet endroit ? Simplement pour inciter le chaland à commander au plus vite une gramouille par l’intermédiaire de ce joujou magique de la communication auditive ?
Non ! Tout simplement parce que les usiniers créateurs d’objets stupides d’une soi-disant société de consommation libératrice ont jugé opportun et surtout commercialement juteux d’imaginer un téléphone en forme de gramouille, la connerie humaine recèle une idée de l’incommensurabilité.

Chapitre 23
Un ami philosophe a décidé de répondre à un journaliste qui lui proposait de repasser le bac en philosophie. Cette entreprise peut paraître un peu vaine et sans avenir. Par contre, lorsque j’ai appris le sujet traité, j’ai revu mes assertions à la baisse.
Sujet 1 : La gramouille peut-elle être un objet transitionnel les soirs de déprime causée par un transit intestinal erratique ?
Sujet 2 : L’argumentation symptomatique de la décadence des spermatozoïdes en milieu intellectuel gauchissant est-elle influencée par l’avènement de la gramouille ?
Les romans d’anticipation ont vécu, ils sont aujourd’hui en péril.
Il fut un temps pas si éloigné que cela où l’on pouvait rêver. On imaginait entreprendre le tour du monde en quatre-vingt jours, poser le pied sur la lune, découvrir les abysses à vingt mille lieues sous les mers ou gravir l’Himalaya sans aide respiratoire. L’on fantasmait encore volontiers la possibilité de communiquer d’un pays à un autre très éloigné sans se déplacer et même il était envisageable dans un avenir incertain de téléphoner tout en voyant son interlocuteur.
Se laver à l’eau chaude et ne laisser les bougies éclairantes qu’aux femmes délaissées pour leur bien être érotique, faisait aussi partie des éventualités futures ; on imaginait même, souhait démentiel, les hommes vivant en paix, débarrassés des croyances ou idéologies destructrices. Les auteurs les plus mythomanes dessinaient même une terre, sorte de paradis terrestre où l’amour serait loi, ou les enfants seraient rois et où les politiciens seraient cois. (sorry, Jacques)
Si nous volons aujourd’hui à deux milles km/h, faisons le tour du monde à la voile en 57jours 13h 34mn 6sec et avons impunément foulé le sol de la lune, plus personne par contre n’ose prétendre à une humanité se nourrissant d’amour, d’incertitudes sur un sol d’herbe tendre et de pâquerettes en humant l’odeur du tilleul au bord d’une rivière aux flots chargés de poissons irisés.
Pour les amateurs d’anticipation. Les temps sont durs !
J’ai pourtant l’outrecuidance d’émettre quelques idées sur un monde meilleur, naïf que je suis !
Avec ou sans gramouille, et si un jour … Les voitures ne polluaient plus !
Si les humains abandonnaient leurs croyances létales, les soldats refusaient de combattre, les fumeurs cessaient d’enfumer leurs voisins, si les mères acceptaient de laisser devenir adultes leurs progénitures comblant leurs vacances intestines, les adultes arrêtaient de se comporter comme des enfants, les enfants n’avaient plus à accepter des parents démissionnaires, les anthropophages devenaient végétariens, les chefs d’entreprises privilégiaient le bien-être de leurs employés au détriment des investisseurs et si les politiciens proposaient leur talent à la Comédie Française… Si, pour finir, les jeunes du port mettaient leurs déchets tout simplement dans les poubelles au lieu de les répartir sur le sol.
… Et si un jour !
Et si un jour les hommes changeaient ! Si les nantis étaient contents d’en avoir beaucoup et ne cherchaient pas à en posséder plus encore, si l’on aidait les pauvres à ne pas être encore plus pauvres, si les ballons des petits enfants ne sautaient plus jamais.
Si les restaurateurs accueillaient leurs clients avec le sourire et mettaient dans leurs toilettes, du papier 4 couches.
Si les hommes se mettaient à comprendre les femmes, si les épouses laissaient leurs maris jouer aux cartes avec leurs potes, si les parents arrêtaient de détruire leurs enfants sous prétexte de vouloir leur bien, si tu étais un peu plus souvent près de moi …
Ah ! Si les hommes changeaient !
Chacun d’entre eux possèderait une gramouille, ni trop grande, ni riche à l’excès, juste une belle gramouille simple sans appendices ostentatoires, juste une gramouille à sa mesure, la bonne mesure.
Mais voilà le hiatus consommé, l’homme est imperméable au juste milieu, à l’harmonie, l’équilibre. Il veut, ambitionne, additionne, accumule, thésaurise et plus il a, plus il veut, jusqu’à l’asphyxie. Ses ambitieux buts, ses extravagantes ambitions et ses inoubliables projets finissent toujours par le laisser déçu ….
Alors il lâche, abandonne, dénigre, détruit pour ensuite embrasser d’autres buts, ambitions et projets, audacieux, extravagants, inoubliables puis il meurt !
Un philosophe a dit : L’homme utilise son énergie soit à séduire soit à détruire.
Alors, tous et toutes, ses pires ennemis, ses victimes, bourreaux et chefs du contentieux vont lui tresser de somptueuses couronnes, les meilleurs toujours les premiers s’en vont.
On verra même à distance de deux tombes, une couronne tressée de gramouille, dernier clin d’œil à l’archétype du consommateur par définition insatisfait de son dernier achat et fomentant déjà le prochain.
Ses héritiers en larmes se partageront ses gramouilles de collection ainsi que d’aucunes richesses probablement malhonnêtement acquises et, suite au partage des biens, ne s’adresseront bientôt plus la parole, c’est ainsi, les héritages !
J’en sais certains qui préférèrent être enterrés, leurs gramouilles à leur côté un peu comme les anciens enterrés étaient enrichis d’un viatique pour mieux vivre le voyage dans l’au-delà …

Chapitre 24
L’au-delà ! Que voici une grande et épineuse question ! L’eau d’ici, tarie, qu’en est-il de l’eau – delà ?
Divers scénarios vont prendre naissance dans nos cerveaux inaptes à imaginer l’inconnue. Les plus savants d’entre nous, seront bien sûr capables de résoudre d’inconsolables équations à multiples inconnues mais la seule, définitive, incalculable, indéfinissable, celle des conséquences de notre mort, ils doivent déclarer forfait.
Le hiatus ainsi posé, quelles issues imaginer qui puissent provisoirement apaiser nos angoisses existentielles ?
Des petits malins ont, il y a fort longtemps imaginé une idée géniale : Le paradis et l’enfer ! C’était le bon moyen d’ailleurs encore en vigueur dans les meilleures familles aujourd’hui de contrôler de naïfs croyants, tenus par le licou de préceptes aux saveurs de menaces et punitions. Cela doit du reste leur convenir puisque ça dure … Le génie de l’homme ne connaît pas de limites, sa connerie, pas plus.
Les scientifiques se rassurent en trouvant des réponses aux questions posées, certains passent leur vie à trouver réponse à l’au-delà, bonne chance !
Et puis il en reste certains, un peu marginaux qui tout simplement avouent n’avoir aucune réponse à certaines questions …
Ils ne savent pas, ceci semble tout simple ! Je ne sais pas.
Ils sont alors taxés d’êtres inambitieux, race méprisable.
Pourtant combien d’entre nous sont-ils capables de réellement afficher leur ignorance ?
Les enfants savent tout, devenus adolescents, ils développent un sens aigu de la critique à l’endroit principalement de leurs aînés, jeunes parents ils sont les omniscients de leurs enfants. Plus tard encore, ils apprennent, se cultivent et comblent leurs cerveaux de ce qui va irrémédiablement se transformer en certitudes.
Ils savent, ils croient savoir mais ils ne savent pas que leur savoir est dérisoire et tellement vite remplacé par un autre savoir.
Ils ont même souvent l’outrecuidance de croire que leurs idéologies devenues certitudes ont été librement établies par eux-mêmes.
Ils deviennent ainsi les kamikazes de causes futiles, les nonces vaniteux de croyances sans lendemain, puis, Dieu, pardonne-nous nos pêchers, ils consultent d’éminents psychiatres à deux cents francs l’heure ou, pour les moins cultivés une cartomancienne.
Alors l’homme des étiologies obscures va les écouter, à ce tarif, c’est la moindre des choses, puis la moustache condescendante, le professionnel de nos sourires figés va commencer à formuler quelques questions :
Vos parents ? Votre enfance ? Vos peurs, vos premières chaussettes … Et … Immanquablement à un moment ou un autre, tôt ou tard, il abordera le sujet universel, incontournable, le poncif séculaire, le prétexte à dix années de psychologie comportementale, à l’aube d’une vie d’inhibitions intestinales.
« Avez-vous côtoyé le monde des gramouilles ? »
Si vous répondez par la négative, le sourcil du praticien va imperceptiblement s’élever dessinant au bas de son front un symptôme patent d’incompréhension étonnée, un peu comme si vous aviez annoncé que vous vous déplaciez en calèche, communiquiez par pigeon voyageur et que vous passiez vos soirées dans votre caverne pour vous reposer de la chasse diurne.
Mais si par malheur vous relevez, un sourire entendu, avoir vécu la gramouille omniprésente autour de vous, le même mouvement du sourcil sera accentué et accompagné d’une exhalaison profonde se voulant teintée de neutralité mais incapable de dissimuler une émotion certaine : « Ah ! À quel âge avez-vous contracté le virus de la gramouille ? »
Chapitre 25
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants si mignons mais insupportables.
Ah ! Que voilà un poncif lourd d’une réalité socio-judéo-chretienne, tombée dans une crasse désuétude.
Aujourd’hui, la moyenne nationale des familles fait état de 2,3 enfants par cellule. (Je ne voudrais pas être le 0,3 !)
À raison du coït hebdomadaire après le film policier de la télévision du vendredi soir, pourquoi ? Parce que le travail du lendemain, parce que la migraine, la fâcherie, les enfants qui pleurent, Internet et puis, bordel de merde, il n’y a pas que le sexe !
Pourquoi vendredi ? Que voici un phénomène socio libidineux ! Les statistiques ont en effet relevé que jadis, le soir de sortie au cinéma, resto ou disco suivis de la crampette avec Lisette sous la couette s’érigeaient le samedi soir, ainsi le dimanche offrait ses heures de vacance à la récupération indispensable pour aborder une nouvelle semaine de labeur.
Depuis que le samedi est devenu jour de congé, ce déroulement est caduc et les ex-activités du samedi se sont déplacées au vendredi.
Un spécialiste en statistiques libido vespérales réparatrices à statistiquement établi après enquête approfondie dans un panel de familles moyennes vaudoises une hiérarchie des plaisirs du vendredi :
- Le plaisir que consacraient les sujets à l’amour venait assez loin après la fondue moitié-moitié, les trois décis de Chardonne avec les potes, le feuilleton télévisé, série américaine de préférence à 18h30, la revanche au yass au club des perdants repentis et la sieste post télévisuelle.
- Le temps consacré aux diverses occupations citées était de :
Fondue moitié-moitié : 2h30, feuilleton télé : 35 mn ou 1h.30 si c’est un film (y compris la publicité), les 3 décis + 3 + 3 : environ 3h selon niveau de conversation, revanche au yass : 3h environ, la sieste 40mn ou plus … Reste l’amour … La statistique est formelle même si nous n’avons pas envie de le croire, l’amour y compris l’idée que l’on pourrait le faire à la place de l’émission de variétés, les préliminaires suivis de la douche ou inversement (la deuxième variante affiche de mauvais résultats car après une bonne douche, quoi de meilleur que de se laisser aller dans les bras de Morphée, beaucoup moins exigeante dans les jeux de l’amour) bref ! Tout mais tout compris jusqu’au coït libératoire égale 12 minutes, j’ai bien dit, 12 minutes !! Et l’adjectif libératoire signifie bien l’ambiguïté de l’acte et surtout la hâte que les acteurs semblent nourrir à l’idée de retourner à leurs occupations préférées.
Reste une inconnue à définir ! Les sujets interrogés ont-ils répondu honnêtement aux questions ? Ont-ils révélé la vérité vraie, se sont- ils vantés ? Les statistiques font-elles état d’une crampette hebdomadaire, mensuelle ou plus grave, trimestrielle ?
Il faut noter pour terminer qu’étrangement, les hommes questionnés étaient beaucoup plus loquaces aux choses de l’amour lorsque leurs compagnes étaient absentes.
La gramouille peut-elle engendrer les vestiges d’anciennes pulsions sexuelles ? Peut-elle être assimilée à d’obscures étiologies réveillant nos instincts les plus archaïques de survie de la race ? Est-il indispensable de perpétuer une race d’êtres vivants capables l’espace d’un siècle de détruire tout ce qui les entoure ?
Le beau, le laid, le bucolique ou l’érotique … Ces adjectifs qualificatifs qualifiant des êtres humains, paysages ou situations revêtent-t-ils une quelconque objectivité ? Que nenni ! Ce que l’on aime est beau, ce qui nous effraie, en général, laid. Tout est dépendant de la charge émotionnelle mise en cause.
Tombe t-on amoureux d’une femme simplement parce qu’elle est belle ou l’amour que nous lui vouons la rend-elle belle ?
Non ! Chaque gramouille est grande, minuscule, colorée, belle … Tous ces adjectifs ne sont là que pour nous rassurer, nous permettre de classifier l’inclassifiable dans nos esprits insécures.
Une gramouille est ou n’est pas, c’est une gramouille, un point c’est tout et tout ceci à l’instant même, ni avant ni plus tard !

Chapitre 26
L’Amérique ! Que voilà un nom à la magie séculaire. On y trouva jadis de l’or puis on enseigna à ses ressortissants l’art du crédit, il n’était enfin plus besoin de posséder de l’argent pour acheter. Le billet vert à l’effigie de la profonde croyance en Dieu fut vénéré, il était le symbole de la liberté et du bonheur dans la consommation. Ah ! Qui ne rêvait pas d’exhiber des magnifiques dollars qui fleurissaient dans les colonnes déficitaires de nos comptes. Mais cela n’avait pas d’importance, il fallait consommer, consommer encore, tout ceci à l’image des présidents qui enflèrent irrésistiblement la dette du pays, c’est cela, la liberté !
L’un de mes voyages dans ce pays dominateur du monde me fit penser que la gramouille à crédit pourrait éventuellement enrichir l’offre aux chalands. Cela tombait bien, allez savoir pourquoi, le peuple américain, lui d’habitude tellement en avance sur toutes les technologies de consommation, ne connaissait pas la gramouille !
Le temps d’un café au Star Buck, je me mis en quête d’un avisé et progressiste commerçant assez subtil pour réaliser tout l’intérêt de promouvoir la gramouille. De plus, il se trouvait un phénomène bien connu des vaches et des consommateurs aussi : L’herbe du voisin est toujours plus verte.
Explication : Vous habitez en Europe, épousez sa culture et ses mœurs mais tôt ou tard vous ne manquerez pas de jeter un œil ou une oreille par delà les océans. La chanson américaine, les Blue Jeans et le coca font carrière chez nous (le crédit aussi).
Et bien, le phénomène est parfaitement réversible. Aux USA, les magasins affichant soit des fromages ou différents substituts du lait sont régulièrement de provenance Suisse. (enfin, sur l’étiquette) Donc, la gramouille d’origine purement européenne devrait de toute évidence tenter la chalandise américaine.
Imaginons l’offre séculaire : Une gramouille made in Europ, modèle spécialement conçu pour l’exportation, payable en 48 mensualités, vous devez tous et toutes en posséder au moins une chez vous ! Une offre spéciale de dernière minute est affichée right now : Vous achetez un pack de 3 gramouilles emballées dans un luxueux cabas. On vous offre en plus : 4 rouleaux de papier hygiénique triple couche, un billet pour le match de rugby, 12 minutes de communication téléphonique et votre photo en couleurs, tout nu, le tout pour même pas le prix d’une gramouille. Vous hésitez encore ?
Tolérance : Est-ce une qualité, un défaut ?
Une fois de plus, ceux capables d’emettre une opinion tranchée se dirigent inéxorablement vers une ère de déception.
Faut-il tolérer les possesseurs de gramouille ou les jeter au banc des renégats ? Au bûcher de promoteurs d’idées mortiphères ?
Une autre fois de plus, une certaine maléabilité de notre cerveau serait de bon aloi.
La gramouille est-elle néfaste à l’évolution de notre société ?
Quelle gramouille ? Dans quelles circonstances, de quelle couleur ? Grandeur ? Combien de gramouilles ?
L’homme moderne a peine à se contenter du juste milieu. Ne condamnons pas systématiquement et sans discernement les possesseurs de gramouilles. Etudions plutôt dans quelles conditions ils en possèdent et ce qu’ils en font. Tolérance, oui ! Mais pas au delà des bornes du raisonnable car ici, la tolérance devient rapidement complice de tous les excès.
Ce qui est important n’est pas ce que l’on possède ou ce que l’on fait mais dans quel esprit on le fait et accessoirement avec qui on le fait. Je peux posséder des gramouilles comme jadis l’avare de Molière gardait son or, je peux leur vouer un culte, les contempler, le regard noyé dans les brumes de la vanité, ou alors tout simplement en avoir une ou plusieurs, pourquoi pas mais ne leur donner que la place qu’elles méritent. Ne pas vivre pour elles mais avec elles en bonne harmonie.

CHAPITRE 27 Rassurez-vous l’aventure de la gramouille est très proche de la fin.
20 ans ont déroulé la carpette de faits heureux comme fâcheux, 20 ans obsédé par l’oubli de celle qui occupa beaucoup trop de mes pensées, 20 ans d’amnésie dirigée, on oublie, on croit oublier, on décide d’oublier et un jour, un soir, une nuit de rêves insensés, on est confronté à la dure réalité : on n’a rien oublié.
Le fantôme de la gramouille m’est apparu, s’est imposé un soir d’automne, un soir comme les autres soirs, un soir qui ne justifiait en aucun cas cette réminiscence diabolique : la gramouille était là, comme si elle ne m’avait jamais quitté.
Je suis fasciné par les mécanismes de la mémoire. Où sont donc stockées les informations emmagasinées durant des décennies ? Sont-elles effacées pour toujours ou ne demandent-t-elles que l’occasion de leur réminiscence ? Le cas qui me préoccupe ici semblerait prouver qu’en effet, le stokage d’informations emmagasinées est sans doute prêt à réapparaître à l’occasion d’une stimulation.
Donc tous les efforts que j’ai accomplis dans l’espoir d’être à jamais débarassé de la gramouille se sont soldés pas un franc et définitif échec. Je pourrais alors espérer que ma mort me délivre définitivement de mon obsession. Pourvu qu’une nouvelle vie ne suive pas la fin de la première !.
J’avais bien mérité une retraite heureuse, du moins l’espérais-je. Heureuse, certes mais comment expliquer qu’une obsession contractée dans l’enfance ne puisse jamais s’effacer définitivement.
Je promenais mes vieux jour au port de la Tour de Peilz, mais oui… Vous savez… ce charmant petit port du haut lac. Le temps était au beau, un petit rebat ornait de brillance les vaguelettes, rien ne semblait être à même de perturber ce souffle d’harmonie estivale.
C’est à cette occasion et pas à une autre que je fis une rencontre.
La vie nous offre nombre de rencontres, de la plus insignifiante à celle qui n’aurait jamais du avoir lieu.
Et puis sur le nombre il en est une, deux ou au plus, trois qui ont stimulé nos neurones de sympathie, celles qu’il ne faut pas laisser passer. Nous sommes certes tous confrontés lors de nos existences à certaines occasions susceptibles de nous laisser d’inoubliables séquelles. L’esprit d’ouverture nous permettra alors de ne les laisser en aucun cas passer.
La rencontre qui nous intéresse ici est celle d’un jeune homme.
Frisé, le sourire ravageur, cet individu recueillait alentour pratiquement sans exception la sympathie. Certaines personnes se présentent rapidement sous un aspect rébarbatif, lui, à peine arrivé propageait un rayonnement sans faille. Pour couronner le tout, il était possesseur d’une gramouille. Oh ! Rien d’extraordinaire pas de gramouille en or massif ou sertie de diamants, une gramouille toute simple, sans chichi, somme toute répondant à l’esprit des premières gramouilles, rien d’ostentatoire, juste une gramouille fonctionnelle toute rayonnante d’harmonie.
Ce jeune homme bouillonnant de l’énergie de sa jeunesse avait fomenté un projet audacieux autant que courageux.
Il avait fantasmé depuis de longues années à l’idée de traverser l’océan de part en part sur une coquille de noix, soit un voilier de moins de sept mètres. Mais le plus incroyable et imprévisible de l’exploit se nichait dans la décision qu’il avait prise d’emporter une gramouille dans son esquif !
Chapitre 28 et dernier !
Très étonné par cette révélation, je m’enquis de connaître la raison de cet embarquement. Etait-ce pour avoir une compagnie, ou alors une superstition, on sait que les marins les collectionnent ou alors avait-il l’intention de l’exporter en Amérique pour la proposer aux chalands d’outre océan ?
Esquissant un sourire dont il savait l’effet bénéfique sur tous les interlocuteurs de passage, j’eus la certitude d’un projet incertain.
Il m’apprit que la décision d’embarquer une gramouille avait été faite sans réellement d’idée préconcue. Une voix céleste semblait lui avoir sussuré à l’oreille : tu dois prendre une gramouille avec toi !
Dans notre monde de rationalité, l’accès à notre instinct demeure assez rare ; on cherche le rendement, pas de temps pour écouter la petite voix intérieure. C’est regrettable car cet appel du fond de notre être peut nous offrir de grandes et belles occasions de bonheur.
Une question restait tout de même criante d’actualité, quelle sorte de gramouille allait-il embarquer ?
Le hasard – mais existe-t-il ? – avait mis sur sa route un article figurant sur un journal local. Après un terrible accident, une gramouille était à vendre à bas prix. Immédiatement titillé par cette annonce, il contacta le vendeur qui lui avoua que, transportant une gramouille sur une remorque derrière sa voiture, un violent coup de vent avait déséquilibré l’attelage et la gramouille était lourdement tombée sur la chaussée. D’importants dégâts l’avaient rendue inutilisable. Allez savoir pourquoi, était-ce le désir de sauver un bléssé ( notons au passage que ses deux géniteurs avaient embrassé la carrière d’infirmiers…) ou était-ce le goût du défi, le jeune aventurier avait décidé d’acquérir l’objet. Après s’être acquitté de la somme convenue, il était enfin propriétaire. Mais quelle perspective ardue que de remettre en état cette sinistrée de la route !
Il se mit rapidement au travail. Il s’agissait primordialement de lui redonner un air de neuf puis de lui créer un emplacement dans le bateau. L’intérieur de la cabine recelait d’innombrables cordes, poulies, instruments et moufles les plus improbables. Comment autour de tout ce fatras, ménager encore une place pour une gramouille ? De plus il était évident qu’elle devait être à l’abri des embruns autant que des chocs et des ondes théluriques, aucune gramouille n’est réellement incassable. ( Il est vrai que les derniers modèles conçus de matériaux nobles et modernes sont beaucoup plus resistants ).
Mais lorsqu’on veut réellement quelque chose, on finit souvent par l’avoir, il trouva un emplacement sous la descente tribord arrière. Là, tout devrait bien se passer.
Cette remise en état monopolisa trois ans de sa vie, tout était à reconsidérer, redonner un bel aspect à la chose.
Malheureusement, notre marin n’était pas très argenté, il lui fallut trouver quelques sponsors pour réaliser cette remise en état. Mais demander de l’argent à des inconnus pour une cause dont ils n’ont souvent que faire… De plus notre ami, s’il était particulièrement doué pour le travail manuel, l’était beaucoup moins pour récolter des fonds.
Malgré les obstacles rencontrés, il fallut reconnaître que notre homme était arrivé au bout de son aventure. La gramouille était passée de l’état d’épave à celui d’une gramouille presque neuve.
L’installation dans le bateau de la gramouille remise à neuf fut orchestrée de main de marin, il était d’actualité dès lors de débuter les essais sur l’eau.
Considérant différentes météos, le tout se comporta sans faille, l’aventure pouvait commencer.
Malheureusement certaines contraintes, pas vraiment envisagées, se mirent en travers du chemin de notre aventurier.
Certains réglements imposaient aux participants d’obscures et indigestes règles peu appréciées : la taille, le matériau, le signe astrologique, les antécédants familiaux …
Et le plus irréversible règlement, était de terminer ce que l’on a commencé, de plus une certaine lassitude était apparue chez les lecteurs de la gazette. Beaucoup de films, livres, pièces de théatres et histoires d’amour sont trop longs, la gazette n’a pas échappé à la règle, c’est pourquoi, le mot fin sera le dernier.