Il était à peu près onze heures ou pour être plus précis, 23h 30.
Pommier mollement étendu sur son lit, regardait distraitement un de ces programmes télévisés dont la médiocrité en fait le succès.
Cette attitude passive de regarder la télévision digne de mollusques, procurait bizarrement à Pommier une sorte de béatitude amorphe, un climat de moiteur torve l’éloignant provisoirement des vicissitudes de la vie trépidante.
Pommier se réclamait d’une catégorie d’hommes amoureux d’eau et de vent modéré : Les marins d’eau douce.
De nombreuses heures privilégiées étaient passées sur son bateau, sorte de refuge, île flottante, certains aiment la montagne ou la spéléologie, lui, c’était le lac.
Or un des paramètres d’importance concernant cette activité sportive se situe dans la météo et ses prévisions.
Il est en effet préférable lors de sorties de ne pas se trouver subitement pris dans des tourmentes venteuses ou orageuses mettant en péril l’esquif et son précieux équipage.
Ce jour là, la météo en question avait clairement annoncé de violents orages accompagnés de vents tempétueux, comme l’on dit en mer, un avis de grand frais était au menu de la soirée.
En ce moment de la soirée, pendant que Pommier traînassait dans son lit douillet, son bateau se trouvait, lui, amarré au port et donc en toute sécurité du moins le pensait-il.
Hors navigation, la grand-voile était stockée dans la cabine, la voile d’avant, elle était enroulée sur elle-même autour de l’étai
… Moment de suspens, le suspect du film télévisé est sur le point d’être démasqué par l’habile commissaire à qui rien n’échappe … Le téléphone sonne ! Pas dans le film … A la maison ! Qui cela peut-il bien être à une heure aussi tardive ?
- Allo ! Pommier ! Ici Titine ! Ma fenêtre donne sur le port, Eole se déchaîne en ce moment et je vois ton bateau en proie à d’inquiétants vacillements ! Le foc s’est déroulé et il bat dangereusement sous les coups redoublés du vent tempétueux, à ta place, je viendrais au plus vite pour enlever cette voile.
Posé le combiné, Pommier enfila prestement les premiers vêtements à sa portée, son ciré et montant dans sa Smart se dirigea par une pluie battante vers le port.
La nuit déjà installée sur le port, Pommier décida de positionner la voiture en face de son bateau, grands phares allumés, ainsi pourrait-il mieux exécuter les manœuvres.
Le spectacle qui s’offrait aurait inspiré le plus dantesque des peintres réalistes. Il est impressionnant d’imaginer qu’un lac respirant calme et volupté, puisse le temps d’un orage, se transformer en furie aux éléments rageurs projetant des paquets d’embruns par dessus la digue.
Pommier ne fut pas long à entrevoir au milieu de cette fin du monde, son bateau qui conformément aux dires de son ami accusait des signes patents de détresse.
Le foc, à moitié déroulé s’était déjà désolidarisé du câble, menaçant à chaque claquement de se déchirer ou d’entraîner dans une chute fatale le mât vibrant comme une corde folle. En complément, cette voile à moitié gonflée provoquait des tensions de l’amarrage à la limite de la rupture.
Aucun marin, fut-il d’eau douce, peut rester insensible à la vision d’une embarcation qui menace de se détruire, Pommier se précipita sur le pont du bateau dans le but d’arraisonner cette voile en furie en l’affalant sur le pont. Malheureusement le cordage servant à hisser la dite voile sous les coups de la tempête s’était enroulé autour du câble formant une sorte de nœud qu’aucun marin n’aurait jamais pu exécuter !
C’est alors que la voile battant furieusement projeta Pommier dans l’eau glacée du port.
Dans les instants précédant un événement, nous avons tout loisir d’imaginer son déroulement, de l’issue la plus heureuse à la pire. La peur de tomber dans l’eau peut être analysée dans la tranquilité d’un endroit bien sec. Il n’est plus question, dans le feu d’une action de se perdre en réfléxions. Pas de choix, pas d’alternative, il s’agit tout simplement de sauver sa peau, rien de plus. C’est alors qu’un mécanisme salvateur se manifeste, l’instinct de survie ou de conservation.
Pommier se retrouva presque sans savoir par quels moyens, hors de l’eau, hissé par une force étonnante, sur le ponton, action probablement impossible en situation normale. Il se dirigea ensuite vers sa maison et c’est à ce moment, lorsque tout danger était écarté qu’il se mit à trembler de tous ses membres, trembler de peur, trembler de froid, trembler à l’idée d’avoir échappé à la mort. - Définition de l’instinct de conservation : impulsion innée, inconsciente, qui pousse un animal ou un être humain à se comporter d’une certaine façon dans le but de sa survie.