Un peu long …

Admettons !

Admettons une terre qui serait hospitalière. Les lions assoupis à l’ombre de palétuviers en fleur, les boas ornant le cou de jolies écuyères et les caïmans offriraient leurs dos écaillés comme havre de repos aux touristes fatigués.

Imaginons l’eau des lacs aussi pure que diamant dans laquelle des poissons aux reflets d’arc-en-ciel joueraient à saute-gardon sur les rais de lumière céleste.

Dominant tout ce monde étonnant, il y aurait des oiseaux, des myriades d’oiseaux aux ailes déployées, bercés par le courant d’un chaud sirocco du désert et taquinant les cumulus moutonneux.

Parmi ce foisonnement de vibrations harmonieuses, imaginons l’apparition d’un homme, puis d’une femme, puis deux et plus encore, on pourrait nommer ce phénomène apparition miraculeuse, ou … disons… naissance de l’humanité, oui ! L’humanité.

De même qu’on avait assisté jadis à la multiplication des mauvaises herbes ou des sauterelles, ces individus bipèdes se reproduiraient, c’est naturel.

Contrairement aux êtres plus tard nommés inférieurs tels que crocodiles, taupes ou autres zèbres, les savants d’alors auraient déclaré que le nouvel arrivant était intelligent. Ils auraient constaté que les animaux ânonnant quelques borborigmes de niveau très primaire, les hommes, eux, usaient d’un éventail de mots bien plus étendu. Certains de ces mots retrouvés à moult reprises dans les conversations, on aurait songé à les répertorier.

Par ordre de fréquence il aurait été constaté que les chiffres dominaient, puis des mots tels qu’amour, liberté ou bénéfice suivaient et fait intéressant, tous étaient précédés de : Je.

Cette multiplication de termes suivant une progression insoupçonnée aurait incité les omniscients d’alors à développer un postulat. Cette prolifération ne pouvait qu’être profitable à l’avenir de la race supérieure, validant ainsi son label d’intelligence.

De prestigieux prénoms verraient le jour : Léonard, Albert, Adolphe ou encore l’Ayatollah qui auraient déployé leurs génies respectifs au service de l’ethnie pensante et la guerre aurait été ainsi inventée.

Cette nouvelle manière de communication aurait obtenu un succès sans précédent ceci pour plusieurs raisons : En premier lieu, l’eugénisme ainsi inventé offrirait du travail à nombre de fabricants d’armes et aux tailleurs rivalisant d’originalité pour enrober les soldats d’habits seyants, même ces derniers, morts. Tous ces défenseurs de l’intérêt d’autres, devenus cadavres, leurs veuves forniqueraient avec d’autres pas assez stupides pour aller se faire tuer, ainsi auraient été évités les effets désastreux de la consanguinité.

Sans le réaliser, l’homme aurait aussi inventé l’argent, évolution logique du troc pour qui sait compter.

Franchement… de vous à moi, vous ne l’aimez pas, vous, l’argent ? La petite bière sirotée à la terrasse du bistrot d’en face, le pain blanc biquotidien et le vélo avec trente six vitesses, cadre en fibre de carbone, vous y êtes insensibles ? Allez, je ne vous crois pas !

L’homme aurait naturellement découvert une autre satisfaction : Qu’est-il de plus agréable qu’une petite bière sirotée à la terrasse du bistro d’en face ? Une autre petite bière… le pain blanc trois fois par jour et un vélo à quarante-huit vitesses cadre profilé. Le plaisir généré par ces envies comblées, le dès lors consommateur aurait pris conscience que deux bières, du pain blanc trois fois par jour plus un vélo à quarante huit vitesses coûtent approximativement le double que les mêmes au singulier. Une fois encore son intelligence serait accourue à son secours, cette fois-çi par le biais de l’observation.

S’essayant donc à des chiffres plus longs, il aurait appris que le chiffre zéro qui ne signifie rien d’autre que zéro… le néant, eh bien juxtaposé à plusieurs reprises, ce chiffre prenait des proportions insoupçonnées. Bien sûr la condition était de les faire précéder d’un autre chiffre. Des écoles auraient été créées pour que le plus grand nombre de ces êtres cultivés les maîtrisent à souhait, les résultats auraient largement excédé les espérances les plus folles.

Beaucoup plus tard, l’on aurait constaté que le nombre d’humains sachant écrire s’amenuisait sans cesse alors que celui des hommes comptant ne cessait de grandir.

Ces derniers alors observant la nature, ils auraient constaté qu’une pâquerette isolée au milieu d’un champs donnait tôt ou tard naissance à une autre puis encore jusqu’à recouvrement total du champ. L’exemple aurait été suffisamment explicite pour qu’il pense à l’appliquer à l’argent. Il aurait ainsi décidé que la pièce d’un franc posée sur la table se multiplierait quels que fussent les moyens utilisés.

Alors l’homme serait devenu riche… enfin, pas tous les hommes… seulement ceux qui n’étaient pas pauvres. Comment expliquer la chose ? Imaginons que je possède un litre de vin et deux bouteilles. Je peux décider, soit de les remplir chacune à moitié du précieux liquide, ou alors n’en remplir qu’une à ras bord. Dans la deuxième solution, j’aurais une belle bouteille bien pleine, l’autre pouvant être rangée à la cave .. ou même jetée, on l’appellerai << tiers-bouteille >>.

Revenons à ces premiers humains sur une terre inconnue. Une belle journée d’été, tout va bien. A la tombée de la nuit, un orage, un de ces orages d’une incroyable violence s’abat sur la contrée. Leur ignorance de ce phénomène effrayant les aurait confronté à l’alternative suivante : soit fuir, initiative vaine l’orage étant plus rapide. En fait, ils se seraient remémoré le temps jadis où ils usaient de vieux bancs d’écoles sur leurs pantalons à manches courtes. Dans chaque classe, il y avait le dernier, le cancre, celui assis près du radiateur, là où la chaleur favorise l’épanouissement des cancres. De plus cet individu, généralement peu recommandable cumule ce poste avec celui de chef de bande… Quelle attitude adopter devant un tel héros ? Le fuir ? Impossible ! Comme l’orage, il court plus vite que tout le monde ou fait appel à ses sbires ! Alors ? C’est simple, on s’en fait un ami en lui adressant des hommages respectueux ainsi que de petits présents pour cimenter l’amitié. Et comme rien n’est gratuit dans cette chienne de vie, qu’offrirait-il en retour ? Une forme de sécurité, la protection ainsi que la chance d’appartenir à une élite.

Pour conclure cet épisode, l’homme aurait inventé, cela tombe sous le sens, un Dieu tout puissant naturellement et menaçant, une sorte de maçon de la terre qui, muni de sa truelle aurait tout construit, tout. Une semaine aurait été nécessaire à cet architecte divin pour réaliser l’ensemble de tout ce qui fait peur à l’homme et l’enfer. Il est alors facile d’imaginer que tous et toutes le remercient de tant de bontés, certains n’hésitant pas à  s’agenouiller devant son image pointant leurs mains miséricordieuses vers son prétendu domicile céleste. Qu’ attendraient-ils en retour ? A l’instar du chef de la classe, on pourrait imaginer qu’il leur offre… disons l’éternité. Alors pour l’éternité que ne ferait-on pas ?

Les animaux et les manchots, n’étant pas dotés de mains pour prier, ils seraient probablement exclus de cette éternité… éventuellement certains gorilles mais pas question pour les crocodiles ou de rampants serpents.

Les hommes étant foncièrement différents dans leur uniformité, chacun d’entre eux opterait pour une croyance à sa convenance, le choix ne manque pas et que faire lorsqu’on se trouve en présence d’une croyance menaçante et différente de la sienne ? Comme pour le dernier de classe ou de l’orage, en face du plus fort, on baisse la tête en signe de soumission.

Or un jour, imaginons que l’homme las d’avoir inventé la guerre comme moyen de convaincre les autres du bien fondé de sa propre croyance, imaginons qu’il tente de trouver un autre langage universel qui lui, serait compris de tous. Imaginons qu’au lieu d’imposer aux autres sa propre partition, tous interprètent la même, chacun y apportant son talent, ses compétences, pour un concert harmonieux. Et si ce nouveau langage avait été nommé musique ? Vous rendez-vous compte ?! On convoquerait un chinois de Mongolie, le fils d’un prince arabe, le plombier de la rue du commerce ou un soldat inconnu et tous joueraient la même partition. Bien qu’issus de souches, de langue et de conditions sociales différentes, tous se comprendraient, sans violence, sans sang versé, sans discours grandiloquents de politiciens marrons, sans hautes réflexions d’omniscients cultivés, la musique se serait profilée comme le moyen d’expression universel.

Alors nous pouvons imaginer que la musique aurait été en effet le catalyseur d’une paix mondiale, comme on dit : deuxième guerre mondiale, on l’aurait nommée première paix mondiale… mais imaginons l’inimaginable : les hommes n’auraient pas désiré la paix, leur agressivité fondamentale aurait relégué la musique à une mince catégorie de doux rêveurs ignorants des ambitions sublimes de la race.

Imaginons un pacifiste, une exception, enfin un non violent qui aurait cherché sa vie durant le moyen de remplacer la guerre entre frères terrestres par une entente harmonieuse sans rapport avec la musique… bref, imaginons un utopiste, quelle solution aurait-il pu trouver ? Parti du principe suivant : deux ennemis affirmés peuvent facilement se réconcilier, sous quelles conditions ? Présentez-leur un danger extérieur qui les menace, les deux. Il aurait ainsi inventé les martiens, petits hommes verts menaçants et prêts à exterminer notre race pour la remplacer par leurs ordures ménagères décidément devenues trop encombrantes sur Mars. Malheureusement, allez savoir pourquoi, autant la croyance en un dieu tout puissant avait été imposée avec succès, autant les martiens ne firent pas recette. Les campagnes de publicité, même les meilleures, ne garantissent pas le succès du produit.

Alors, un peu découragé et à cours d’imagination, imaginons la fin du monde. Mais là encore, imaginons qu’un illuminé ait un jour affirmé que rien ne se perd mais que tout se transforme, il serait facile  alors de remplacer les cendres des ex-humains décadents par d’autres humains, tout neufs. Mais l’exemple des premiers n’ayant pas franchement été reluisant, pourquoi ne pas les remplacer par un monde de sauterelles, de rats ou de limaces… non des poissons, voilà ! Un monde de poissons.

Peu à peu les poissons auraient évolué, sortant du milieu aquatique pour se déplacer sur terre, ils leur pousserait des pattes et puis longtemps, très longtemps après, on peut imaginer que certains de ces quadrupèdes se seraient dressés sur leurs membres postérieurs pour devenir des quadrumanes. Pourquoi ? Tout simplement pour mieux cueillir les cerises sur l’arbre ( Si à cette époque les hypermarchés avaient vu le jour, n’ayant plus la nécessité de se lever pour cueillir les fruits, mais les trouvant dans des barquettes sur les rayons à portée, 20 % de rabais, toute l’évolution de la race en eut été modifiée.) Ces mi-animaux-mi hommes tout de fourrure et de mains nommés singes seraient nettement plus intelligents que leurs aïeux  barbotant dans les eaux salées du globe.

Et personne ne recèle assez d’imagination pour imaginer une suite à l’histoire.